Chapitre 1
1er juillet 2034
Hôtel Astoria, Grèce – 1er
juillet 2034 – 14h55
La saison était
chaude, même pour la capitale grecque qui pourtant en avait vu bien d’autres. Les
clients de l’hôtel avaient d’ailleurs décrété que la climatisation du lieu
était un outil de première nécessité et qu’il serait bien mal aisé de s’en
passer. Le palace était donc assiégé par les touristes bien trop contents de
profiter de l’air frais, de la piscine et de ses autres multiples atouts pour vouloir
plutôt visiter les richesses de la ville.
Mais un tel
engouement, même s’il était parfaitement justifié, incluait également que le
personnel était totalement débordé. Les demandes des clients ne cessaient de
fuser de part et d’autres de la somptueuse bâtisse et il n’était pas rare de
voir un serveur ou un jeune groom courir à vive allure sur les pierres marbrées,
évitant souvent de justesse quelque glissade à l’issue fatale.
Dans les cuisines, le
chef hurlait ses ordres plutôt qu’il ne les énonçait, mais le pauvre avait fort
à faire : L’heure du diner approchait et il y avait le gala du lendemain
qu’il fallait commencer à préparer.
Cette année, et pour
la première fois en Grèce, Athènes accueillait un grand prix de Formule 1. Une
immense piste avait ainsi été bâtie dans la ville même, à proximité de
l’océan. Cette localisation extraordinaire avait rapidement fait des curieux
qui, même s’ils n’étaient pas forcément férus de sport automobile, avaient bien
envie de contempler le cadre idyllique où aller se dérouler l’attraction de l’année. D’ailleurs on pouvait même
apercevoir l’Acropole.
Les stars du moment
avaient alors décidé de faire le déplacement, accompagnées bien entendu par
certains des plus grands businessmen du moment qui ne voulaient pas rater un
tel évènement. Le gouvernement grec, toujours à l’affut de bonnes affaires,
avait souhaité profiter de l’occasion pour mettre en œuvre un gala de charité.
Non seulement cela augmenterait encore les emplois, même si seulement de façon
temporaire, mais cela permettrait de renforcer l’image de la ville au niveau
mondial.
Le lieu avait été
difficile à trouver, car la concurrence était rude. Mais finalement le choix
s’était porté sur l’hôtel Astoria,
un palace cinq étoiles dont la
réputation n’était plus à faire. Et puis le charisme de sa gérante apporterait
également un atout non négligeable à cette campagne de promotion.
Noora était enchantée de sa
victoire mais la somme de travail que cela lui demandait, ainsi qu’à ses
employés, était nettement à la hauteur de l’évènement. D’ailleurs, l’ensemble
de son personnel semblait littéralement sur les rotules et c’était avec hâte
qu’ils attendaient la fin de toutes ces festivités.
Un serveur à peine
sortit de l’adolescence, grand et quelque peu dégingandé,
manqua d’ailleurs de la percuter lors de son entrée dans le hall de l’hôtel. Il
s’excusa rapidement, rouge de honte, et reparti bien vite la tête basse. Malgré
son évidente beauté, Noora n’en restait pas moins une
gérante sévère qui avait su s’imposer auprès de ses employés.
-
Mademoiselle
Andries.
La voix sombre la tira
brusquement de ses pensées et elle se retourna pour aviser un homme d’une
cinquantaine d’années dont les cheveux noirs de geai étaient impeccablement
plaqués en arrière. John Stirling travaillait avec son père même avant sa
naissance et c’était aussi grâce à son aide précieuse qu’elle était parvenue à
faire prospérer son héritage de la sorte.
Dardant sur elle un regard noir et froid qui
lui était familier, Stirling fit un léger mouvement de tête vers l’imposante
porte qui conduisait à l’aile du palace réservée au service.
- Une personne
qui n’a pas souhaité décliner son identité, demande à vous parler par
téléphone. J’ai pensé faire transférer cet appel dans votre bureau à moins,
bien sûr, que vous n’ayez d’autres exigences…
Il eut un léger
mouvement d’épaules pour appuyer ses dires. Son attitude semblait légèrement
hautaine, comme s’il se considérait comme un égal mais restait néanmoins parfaitement
respectueux de l’étiquette. Pourtant Noora savait
qu’il n’y avait rien de cela et même s’il était évident que Stirling exécrait
le contact humain, il n’en restait pas moins un excellent gérant dont elle
n’avait aucune envie de se séparer…
Noora Andries
Calant une mèche bouclée derrière son oreille,
Noora plissa légèrement les yeux avant d'esquisser un
petit rictus.
Stirling, ce cher ami... Quand elle était plus
jeune, l'homme lui faisait froid dans le dos, et chacune des ses apparitions,
lesquelles s'avéraient être toujours impromptues, lui hérissaient jusqu'au
moindre petit poil. Certes, avec le temps et un certain recul, la jeune femme
avait appris à connaître cet être froid et quelque peu distant, refrénant
jusqu'à la source l'étrange, et pourtant compréhensible, aversion qu'il
suscitait en elle.
Il était pourtant évident que si à présent Noora appréciait l'homme, c'était avant tout parce que ses
compétences en hôtellerie et en gestion frisaient avec insolence
Les années passant, elle avait même fini par
s'attacher à lui, préservant ce qu'elle appelait faute de mieux leur entente
cordiale. Bref, Stirling faisait parti des murs et bien mal lui en prendrait si
elle venait un jour à vouloir se passer de ses précieux services.
Elle darda un instant son regard clair sur
l'agitation qui couvait dans le hall, extrapolant quelques secondes sur la
quantité de travail qu'il restait encore à fournir pour être fin prêt avant le
gala. La conclusion la fit grimacer. Ce coup de fil tombait vraiment mal,
additionné à cela, l'anonymat du demandeur la mettant quelque peu mal à l'aise.
Cependant, il lui semblait avoir une vague idée sur l'identité de la personne à
laquelle Stirling faisait référence.
-
Vous
avez bien fait. » Lui répondit-elle en lui adressant un regard
d'assentiment. Je vais prendre l'appel
immédiatement. »Acheva-t-elle en se dirigeant vers la partie réservée au
personnel.
La jeune femme poussa la porte qui menait à la
zone privée, frôlant une gouvernante alors qu'elle remontait le couloir marbré
jusqu'à son bureau. Elle en déverrouilla la porte et s'installa dans le
fauteuil de cuir qui trônait derrière un immense bureau de merisier rouge.
Avec le temps, elle ne faisait plus guère
attention à l'aménagement savamment orchestrée de
Noora se saisit du
téléphone, enfonça une touche pour prendre l'appel et posa le combiné sur son
oreille. La tonalité de la voix qui s'exprima aussitôt lui donna raison d'avoir
opté pour la confidentialité, plutôt que d'avoir choisi le haut-parleur.
Après quelques banalités échangées, son visage
se fit soudainement sérieux. Une préoccupation toute autre que celle qui
l'assaillait quand aux préparatifs de la soirée crispa ses traits délicats et
l'échange se fit soudain plus tendu et inquiet. Plusieurs fois, elle demanda à
son interlocuteur de répéter, quémandant des détails qu'il paraissait bien en
peine de lui donner. Quelques minutes plus tard, la conversation s'acheva et la
gérante raccrocha, demeurant interdite.
Voilà qui allait sensiblement compliquer les
choses.
Un quelconque observateur n'aurait manqué de
noter le changement qui s'était opérer en elle. Plus que de l'inquiétude ou du
stress, c'était bel et bien de la peur qui filtrait à présent de sa personne,
et ce malgré toute la maîtrise dont elle savait habituellement faire preuve. Se
mordillant la lèvre, elle se mit à parcourir d'un doigt le répertoire virtuel
du téléphone, effleurant les œillets bleutés de l'hologramme pour chercher un
numéro.
Une fois trouvé, elle lança l'appel. Ce
dernier risquait de réveiller sa correspondante, mais c'était là le cadet de
ses soucis. Il semblerait bien qu'à partir de maintenant, les grasses matinées
de cette dernière ne deviennent un lointain souvenir.
New
York, Etats Unis - 1er juillet 2034 - 8h00
Anchali Siripan
Une tasse de thé refroidissait, abandonnée sur
un coin de la table en fer forgé. A côté d'elle, une pile de magasines et un
ordinateur portable dernier cri sur lequel étaient affiché des photos
remplissaient le maigre espace que le meuble offrait. Seul le vrombissement
discret de l'appareil troublait le calme de la terrasse.
C'était l'été à Manhattan, et les hordes
humaines qui peuplaient d'ordinaire l'endroit avaient depuis longtemps déserté
la place, préférant quêter une fraîcheur bienfaitrice en bord de mer. Cette
chance n'était malheureusement pas offerte à tous, et certains n'avaient
d'autre choix que de rester en ville, subissant par là même, les affres d'un
été particulièrement torride.
Le bruit d'une clé tournant dans une serrure
tinta légèrement, cristallin. La porte d'entrée de l'appartement s'ouvrit
aussitôt et une silhouette chargée de paquet pénétra dans le vaste salon avant
de se rendre dans la cuisine ouverte. Elle déposa sur la table un sac de papier
beige ainsi qu'un sac à main conséquent et, dans un soupir, se passa la main
dans les cheveux, délogeant ainsi quelques mèches éparses d'un noir profond de
l'étreinte d'un chignon.
La jeune femme déballa ses achats, deux
beignets et un café frappé, dont elle venait de faire l'acquisition au « Starbuck café » installé un peu plus bas dans sa rue.
Avec délice, elle mordit dans l'une des gourmandises, émiettant quelques
reliquats de pâtisserie sur ses lèvres pleines. Satisfaite, elle se dirigea
vers la terrasse, non sans emmener avec elle sa précieuse collation et son
téléphone portable, recherché un instant plutôt dans les fin fonds de son
bagage.
Anchali s'assit
confortablement sur la banquette de métal recouverte de coussins, délogeant les
affaires qui jonchaient la table pour y loger sa boisson. Un rapide coup d'œil
à l'écran de l'ordinateur lui apprit qu'aucun message urgent n'était arrivé en
son absence.
Tant mieux, songea-t-elle en agrémentant un bouchée d'une longue rasade de café glacé. A défaut
d'être agréable, au moins l'été avait le mérite de diminuer son habituelle
surcharge de travail, lui permettant de savourer pleinement son premier samedi
de repos de l'année. Malgré cette parenthèse professionnelle, elle s'était
levée de bonne heure, par habitude à n'en pas douter et se félicitait de cet
état de fait. Au moins pouvait-elle escompter profiter de la fraîcheur de cette
matinée, avant que la chape de plomb qui couvrait la ville depuis plusieurs
semaines ne réapparaisse.
Une sonnerie guillerette retentit
soudainement.
Ca en était fini de la tranquillité
apparemment. Ses yeux dorés s'agrandirent sous la surprise en reconnaissant le
numéro qui s'affichait sur l'écran digital et elle décrocha dans la foulée .
- Noora. Il n'est que huit heures du matin ici. »
Fit-elle d'un ton faussement empreint d
reproche. La voix chaude de son amie résonna à ses oreilles, dépourvue
de la moindre parcelle de bonne humeur qui la caractérisait.
- Désolée. J'ai besoin de toi.
Anchali fronça les sourcils.
Quelque chose n'allait pas.
-
Qu'est
ce qui se passe ? Des ennuis avec ta liste d'invités, ton chef est malade ou
bien l'inspection sanitaire te menace de fermer l'hôtel ? » S'enquit la
métisse d'un ton presque ennuyé en grignotant un morceau de beignet.
Elle savait la grecque sous pression depuis deux
mois, du fait de l'organisation de l'évènement people de l'année :
l'inauguration du premier grand prix de formule 1 en Grèce, et connaissait les
difficultés auxquelles la gérante de l'hôtel Astoria était confrontée. Bien que
sa nomination comme hôtesse de la soirée de gala suivant la course l'ait emplie
de joie et de fierté, les obstacles à la réalisation de cette dernière étaient
légion et semblaient aller crescendo. Cet appel n'était sans doute que le
reflet de l'anxiété qui devait ronger la jeune femme, qui ne souhaitait que
trouver une oreille compatissante en la personne de son amie.
-
C'est
bien plus grave que ça. Ça nous concerne tous les quatre. »
La théorie du stress organisationnel venait de
prendre du plomb dans l'aile.
-
Noora, dis moi ce qui se passe. »
Répondit finalement Anchali, au terme d'une seconde
de silence.
-
Je...
non, pas au téléphone, c'est trop important. Rejoins-moi à Athènes par le
premier avion, je m'occuperais de te loger, les autres aussi. » Argumenta
son interlocutrice visiblement inquiète.
Non, pas inquiète, corrigea l'américaine.
Anxieuse serait plus juste.
-
Très
bien, j'attrape quelques affaires et je me rends à l'aéroport. Je t'appellerais
pour te dire à quelle heure mon avion arrive.
-
Merci.
Je dois prévenir les autres. A tout l'heure Anchali.
La grecque raccrocha aussitôt, laissant la
brunette dans la confusion la plus totale. Un étrange nœud nouait son estomac,
le coup de fil de Noora ayant éveillé en elle des
sentiments déplaisants. Que c'était-il donc passé pour qu'elle soit ainsi
alarmée ? Quoi se fusse, cela devait être extrêmement grave, et tout au fond
d'elle, Anchali pressentait vaguement quel était le
sujet source d'angoisse.
La gorge serrée, extrapolant involontairement
sur les tenants et les aboutissants, elle se leva de sa confortable retraite et
commença ses préparatifs pour le voyage. Un tour dans son dressing et dix
minutes plus tard, sa valise était faite. Elle appela pour passer commande d'un
taxi et passa le quart d'heure d'attente à ranger ses affaires et à prévoir les
papiers nécessaires à son périple. Outre le passeport, elle pris
avec elle sa carte de presse. Cette dernière avait le mérite de lui ouvrir bien
des portes et si d'aventure elle devait participer au gala, l'opportunité de sa
présence ne serait guère remise en cause du fait de son appartenance
journalistique.
Le taxi arriva enfin et le temps de boucler
son domicile, la jeune s'installa à l'arrière, indiquant au chauffeur
l'aéroport Kennedy. Le véhicule jaune ne mit qu'une grosse demi
heure pour y parvenir et déposa Anchali aux
portes des halls d'embarquement.
Après une brève attente au comptoir de la
compagnie aérienne grecque, durant laquelle l'anxiété ne cessa d'affermir son
emprise sur ses entrailles, elle acheta un billet pour le premier vol en
partance pour
Et puis, ce n'était pas comme si elle débarquait
en territoire inconnu !
L'heure de l'embarquement approchait et Anchali communiqua les documents nécessaires à l'hôtesse de
l'air qui s'occupait des placements. Comme quelques autres nantis, elle fut
alors conduite en classe affaire, non sans avoir satisfait une seconde fois au
rituel de l'identification biométrique juste à l'entrée de l'avion.
La seule compensation de ce début de matinée
mouvementé était qu'elle n'aurait aucun voisin durant les 8 heures de vol ; le
vol étant matinal et les grandes vagues de départ étaient déjà passées. Aussi en profita-t-elle pour prendre ses aises,
agençant avec soin les plis de sa courte robe en soie bleue griffée Armani pour
éviter de
Ce n'était pas la première fois que cela lui
arrivait, et les articles qu'elle ramenait justifiaient toujours amplement les
désagréments que son absence occasionnait. De plus, l'excuse était parfaite.
Qui donc viendrait à mettre en cause la présence de la rédactrice en chef de Vanity Fair à la soirée mondaine
de l'été ?
Le vol se déroula sans incident, mais les sept
heures de décalage horaire avec New York l'éprouvèrent plus qu'elle ne l'aurait
cru. Elle débarqua à Elefthérios-Venizélo
et le temps de récupérer ses bagages, de louer et entrer en possession de son
véhicule de location, elle quitta l'enceinte aéroportuaire vers 20 heures. Fort
heureusement, la canicule que subissait l'attique actuellement était estompée
par la relative tiédeur du soir et elle pu se permettre d'éteindre la
climatisation de la voiture, roulant les fenêtres entrouvertes.
Athènes,
Grèce - 1er juillet 2034 – 15h30
Constantin Nielopoulos
Constantin Nielopoulos,
éminent océanographe appartenant à
L’odeur des embruns entra par la fenêtre
ouverte et le jeune homme soupira d’aise. Il n’aimait pas trop la partie
paperasserie de son travail mais, tant qu’il n’était pas loin de la mer, cela
ne lui posait pas trop de soucis. Depuis qu’il était tout petit, il avait
toujours ressenti cette attirance pour le milieu marin sans savoir vraiment
pourquoi, au point de vouloir en faire son métier. Cela ne faisait que peu de
temps qu’il était entré à la Fondation, mais c’était là le métier qu’il avait
toujours rêvé de faire et il n’était jamais aussi heureux que lorsqu’il
naviguait.
Il enregistra son rapport, le relut
soigneusement et l’envoya par mail à ses supérieurs avant de se lever et de
s’approcher de la fenêtre pour faire une petite pause bien méritée. Les bureaux
de
Il étira sa haute taille et passa sa main dans
ses cheveux sombres en désordre. Compte tenu de la saison et de sa chaleur
étouffante, il ne portait qu’un simple pantalon de coton et une chemisette
beige qui mettait en valeur sa peau mate. Heureusement pour lui, il était
originaire de la région et supportait relativement aisément cette chaleur
sèche.
La sonnerie de son téléphone le tira de sa
rêverie. Il revint à son bureau, décrocha et reconnut la voix de sa
gouvernante, Athinaï. La vieille dame l’avait élevé
et, depuis qu’il avait acheté sa propre maison, elle vivait avec lui et tenait
son intérieur.
-
Allô ?
Oui, c’est moi… Oui, tout va bien, je rentrerai à l’heure ce soir….euh, je ne
sais pas, il ne reste pas de la moussaka d’hier soir ?... Oui, si tu veux…
A ce soir, alors !
Il raccrocha et eut un léger sourire. Athinaï s’inquiétait toujours de ce qu’il voulait manger,
comme lorsqu’il était petit…enfin, il lui passait ce genre de travers, il avait
trop d’affection pour elle pour s’appesantir là-dessus. Il se rassit à son
bureau, reprit les derniers éléments de dénombrement des éponges qu’il avait
reçus et entreprit de remplir son tableau de suivi sur son ordinateur alors
qu’un rayon de soleil venait jouer avec le sol de son bureau en y faisant des
taches lumineuses…
________________________________
Constantin rentra chez lui plus tôt qu’il ne
l’avait d’abord imaginé. L’air frais de l’océan l’avait aidé à se concentrer et
il était parvenu à traiter l’ensemble de la paperasse administrative qui
s’était accumulée sur son bureau durant son absence. C’était nettement moins
intéressant que ses recherches mais, malheureusement, il était bien obligé de
se soumettre à ce genre de tâches.
Le soleil était encore haut dans le ciel
lorsqu’il atteignit la clôture de la petite maison qu’il occupait et il ne fut
guère surpris de trouver Athinaï afférée dans le
jardin. Sa vieille gouvernante semblait couper des herbes, certainement afin de
parfumer savoureusement le diner comme elle seule savait le faire. Ses talents
de cuisinière n’étaient plus à démontrer et à chaque fois ses plats familiaux
même les plus simples avaient de véritables allures de festin. D’ailleurs le
jeune océanographe pouvait déjà sentir les délicieux effluves d’une tarte Tatin qui était en train de cuire au four.
Mais en plus d’être un cordon bleu, la petite femme
était également terriblement attachante. En fait, elle s’était occupée du jeune
homme depuis sa plus tendre enfance, alors que ses parents passaient la majeur
partie de leur temps au travail ou bien à leur club de golf ou quelque soirée
mondaine. Plus qu’une gouvernante, c’était presqu’une mère pour lui et, de son
côté, il savait qu’elle ressentait la même chose. Elle le confortait lorsqu’il
allait mal et lui donnait souvent quelques bons conseils, même si elle n’avait
jamais osé surpasser son rôle de gouvernante.
Elle l’aperçu alors qu’il remontait la petite
allée dallée et accouru vers lui.
-
Monsieur
Constantin ! Votre mère a appelé il y a bien quarante minutes mais vous n’étiez
déjà plus à votre bureau… » Commença-t-elle avec un ton d’empressement qui
inquiéta aussitôt l’océanographe.
Lorsque sa mère téléphonait c’était en général
pour annoncer de mauvaises nouvelles.
-
Elle
a demandé à ce que vous la rappeliez expressément…
Elle insista sur ce dernier mot, prenant, sans
le vouloir, l’intonation exacte qu’avait sans nul doute eut sa mère. Le jeune
homme entra dans la demeure et se dirigea aussitôt vers le téléphone. Il
connaissait trop bien Adonia Nielopoulos
pour ne pas obtempérer dans les plus brefs délais.
Elle décrocha dès la première sonnerie.
-
Ah
Constantin, » commença-t-elle d’une voix rapide qui indiquait l’urgence de
la situation. « Ton père et moi-même sommes invités à la soirée annuelle
des Dimitriou ce soir. Tu te souviens d’eux ? Tu
as souvent été invité quand tu étais petit… »
Il y eut une courte pause durant laquelle elle
reprit enfin sa respiration mais reprit aussitôt son exposé.
-
Bref,
ton père a été appelé de toute urgence à son bureau et tu penses bien que je ne
peux en aucun cas me présenter seule. Il faudrait que tu me rejoignes au plus
vite à la maison afin que nous ne soyons pas en retard. Voyons, il est déjà
plus de dix-huit heures et nous devons y être pour vingt heures. C’est jouable.
Ah ! Mets ton ensemble en lin, c’est le plus chic que tu ais et il
te va très bien…
Evidemment qu’elle trouvait qu’il lui allait
bien, c’était elle-même qui l’avait choisi et lui avait offert pour son dernier
anniversaire…
-
Je
t’attends donc, mais ne tardes pas. » Conclue-t-elle d’un ton qui imposait
l’obéissance la plus totale.
Madame Nielopoulos restait
fidèle à elle-même…
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Le jeune océanographe eut un énorme soupir et
souhaita à l’heure même se trouver en mission le plus loin possible, dans la
mer de Chine, dans le Pacifique ou Dieu sait où, mais loin de la Grèce !
Il détestait le penchant jet-setter de sa mère depuis sa plus tendre enfance,
où elle l’emmenait partout pour montrer quel bel enfant bien gentil et bien
obéissant il était et comme il serait l’héritier rêvé pour l’entreprise de son
père. Il avait fait quelque peu mentir ses plans en se tournant vers
l’océanographie mais elle ne manquait pas la moindre occasion de l’embarquer
dans la moindre réception quand il se trouvait là. Il détestait ces réunions du
beau monde où les gens ne pensaient qu’à médire de leurs pairs mais, là, elle
ne lui avait pas laissé le choix.
-
Je
mangerai en revenant, Athinaï… Encore une réception
insipide où l’illustre auteure de mes jours veut que je l’accompagne…», dit-il
avec un soupir.
Mais il ajouta avec un sourire :
-
Mais
je boirais volontiers un café avec un morceau de tarte Tatin avant de me soumettre à cette assommante
corvée… », dit-il avec un sourire.
Athinaï savait à quel
point son protégé détestait les réceptions du gotha athénien et il était la
seule personne à qui il pouvait s’en ouvrir. Sa mère ne l’eût ni écouté, ni
compris…
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Athinaï eut un sourire plein
de compassion. Elle connaissait fort bien le genre de soirée à laquelle le
pauvre Constantin était contraint d’aller. Madame Nielopoulos
en avait organisé plus d’une chez elle à l’époque où elle travaillait encore
pour elle. Elle devait alors gérer à la fois le menu et les serveurs, rédiger
les invitations et accueillir les invités. Un travail énorme mais qu’elle
appréciait néanmoins car Madame recevait toujours force de compliments sur sa
prestation et ne manquait pas ensuite d’en faire part à sa gouvernante.
Pourtant elle savait bien que Constantin les
avait en horreur. L’océanographe était un jeune homme aux goûts simples qui préférait
nettement la quiétude d’une soirée passée à lire à tout ce strass.
-
Je
vais vous servir une part énorme tout de suite, » dit-elle
Elle s’effaça de l’entrée de la cuisine pour
le laisser passer et sortit la tarte du four fumant. Elle était plutôt réussie
constata-t-elle en étudiant avec soin l’aspect des pommes caramélisées et de la
pate moelleuse.
-
Mais
je doute fort que vous ayez encore faim en rentrant. En général ce genre de
réception propose tout une variété de plats délicieux et ce serait un tort,
pour ne pas dire une impolitesse, de ne pas en profiter.
Elle plaça un morceau gigantesque de gâteau
encore fumant devant lui accompagnée, bien sûr, d’une tasse de café et
entreprit de placer le reste de la tarte dans un plat adéquat.
-
Sans
compter que connaissant madame votre mère, vous allez très certainement au beau
milieu de
Tout en discutant, elle avait commencé à laver
Mais cet instant précieux fut bien vite fini
et s’il ne voulait pas être plus en retard qu’il ne l’était déjà, Constantin
devait bien se résigner à se changer et à rejoindre sa mère chez elle. Il se
prépara à la hâte et regagna la demeure parentale. Madame Nielopoulos
était déjà sur le seuil à l’attendre quand il arriva enfin. Toute endimanchée,
elle se tenait droite comme un piquet et son air sévère annonçait déjà à
Constantin que la soirée allait être tendue.
-
Tu
en as mis du temps. Nous allons être en retard et tu sais à quel point cela me
fait horreur, » commença-t-elle sur un ton de reproche.
Elle descendit les degrés du perron d’un pas
vif, alors que son chauffeur conduisait la voiture dans l’allée.
-
Les
Dimitriou sont une famille respectable et surtout
l’une des plus grandes fortunes de Grèce. Les convives de cette soirée sont
triés sur le volet et même si nous sommes nettement plus importants que la
plupart d’entre, il n’empêche qu’il est indispensable que notre tenue soit
impeccable.
Elle s’installa à l’arrière du véhicule et
arrêta ses remontrances le temps que Constantin monte à son tour.
-
En
tout cas, ce costume te va vraiment bien. Oh, tu sais que la petite fille de
Madame Dimitriou sera là ? Sarah, si je me
souviens bien. Vous jouiez ensemble certains étés quand vous étiez enfants.
Ils arrivèrent chez leurs hôtes bien trop tôt
au goût de Constantin et la voiture était à peine arrêtée que déjà sa mère se
précipitait vers l’entrée.
Ce fut
la propriétaire des lieux en personne qui les accueillit, et elle semblait
s’entendre à merveille avec madame Nielopoulos.
-
Adonia comme tu es ravissante ! »
Dit-elle avec ce ton exagéré que Constantin connaissait par cœur.
Elle se tourna ensuite vers l’océanographe et
le détailla des pieds à
-
Constantin,
tu es un bien beau jeune homme et je suis certaine que tu fais la fierté de ta
mère.
Adonia sourit au compliment
mais n’élabora pas davantage. Il était temps de rejoindre le hall principal
dans lequel se tenait la réception et pour l’océanographe d’affronter sa faune
locale…
Tulum,
Mexique - 1er juillet 2034 - 10h30
Joseph Nicaise
Le soleil brûlait la plage paradisiaque de ses
rayons acerbes. Pourtant, il était de bonne heure et l'astre solaire n'avait
pas encore atteint la plénitude de sa chaleur. Malgré l'heure, les touristes
commençaient à prendre d'assaut la plage publique, située au nord de la large
falaise de basalte sombre qui supportait la résidence hôtelière. Sans doute
préféraient-ils profiter de cette relative douceur avant que la canicule ne
frappe la riviera maya de plein fouet, obligeant les autochtones et les
occupants temporaires à se mettre au frais.
Un homme regardait sans vraiment le voir ce
petit rituel. Son regard, caché par les verres polis de ses lunettes de soleil
dernier cri, dardait son attention sur les flots réguliers de la mer des
caraïbes qui s'échouaient contre
Un soupir las fila entre ses lèvres charnus et
il bu une grande gorgée de la boisson, s'abimant dans la contemplation de
l'Eden sur lequel il avait jeté son dévolu pour ses vacances. Cela faisait à
peine une semaine qu'il profitait de l'océan turquoise et de tout le luxueux
confort de son hôtel cinq étoiles. Entre la plage privée où il avait
présentement élu domicile, les bars et les activités tel que la balnéothérapie
et autre formules de bien être, il n'avait presque plus de temps libre...
Dire qu'il allait devoir renoncer à ce
paradis, sans même avoir eu le temps de visiter les superbes ruines de Tulum !
Joseph en était presque malade. Mais hélas, le
devoir l'appelait et il ne serait pas dit qu'il s'y déroberait. Il termina son
verre et s'extirpa de la chaise longue avant de rentrer à l'hôtel, offrant
quelques sourires aux nymphes qu'il croisait sur sa route.
Ah ça aussi, ça allait lui manquer,
songea-t-il en admirant les courbes plantureuses d'une Latina qui se rendait
visiblement à
Aussitôt parvenu dans le hall frais de
l'établissement, il annula sa réservation et demanda au réceptionniste de lui
réserver une place sur le prochain vol à destination de
Assuré que ses consignes seraient exécutées,
il monta dans sa chambre et prépara ses valises, ne ressortant que deux heures
plus tard pour se rendre à l'aéroport, le commis lui ayant dégoté in extremis,
l'ultime billet en partance pour sa nouvelle destination.
A lui la Grèce, les vieux souvenirs et les
ennuis en perspective…
Londres,
Angleterre - 1er juillet 2034 – 16h20
Nathan Meyers
Le jeune homme reposa le combiné sur sa base et
eut un soupir. Les portes de son bureau étaient closes, mais il apercevait les
silhouettes sombres qui patientaient dans la salle d’attente à travers les
vitres opaques. Combien lui restait-il encore de patients pour la
journée ? Cinq ? Plus ? Peu importait, il devait partir
immédiatement. Si les soupçons de Noora n’avaient ne
serait-ce qu’une once de vérité, alors ils étaient tous en danger.
Noora… Il n’avait pas revu
la jeune femme depuis des années et à vrai dire, même si elle était plus qu’une
sœur pour lui, il préférait que les choses en soient ainsi. D’ordinaire les
circonstances de leurs réunions, tous les quatre, étaient dues à l’émergence
d’une nouvelle guerre sainte.
En serait-il de même cette fois-ci
encore ? Son cœur se serra à l’idée d’une telle éventualité. Combien
y’aurait-il de morts cette fois ? Dans leur propre camp mais aussi parmi
les civils, ces habitants de
Et qui serait leur ennemi ? Un dieu ou un
simple chevalier aux rêves de gloire ? L’un comme l’autre pouvait s’avérer
être une menace extrêmement sévère… Mais avec de la chance, ce ne serait pas le
cas. Un simple mortel un peu trop curieux…
Il secoua la tête dans le but vain de se rafraichir
les idées. De longues boucles brunes retombèrent sur son front et il les remit
en place d’un geste sec. Assez de réfléchir à toutes les éventualités
possibles ! Il devait agir. Noora les attendait
le plus rapidement possible en Grèce et avec les départs massifs en vacances,
il n’était pas prêt d’obtenir une place sur un vol…
A moins que…
Une idée germa dans son esprit et un léger
sourire emprunt de fierté apparu sur ses lèvres fines. Il se redressa d’un bond
et sortit de
-
Oh
docteur Meyers, vous ne devinerez jamais le rêve qui
m’est apparu cette nuit ! Je suis venue dès que j’ai pu et Bridget m’a dit
que vous pourriez sans doute me trouver un petit créneau entre deux
rendez-vous…
Nathan se mordit les lèvres et se retint avec
peine de prononcer quelques paroles malheureuses à l’attention de
Derrière la patiente, Bridget levait les yeux
au ciel. Le message était clair : jamais sa secrétaire n’avait eut de
telles propos mais Mme Bennet s’était sans doute dit que, présentée de la
sorte, sa requête trouverait l’approbation du docteur.
-
Je
suis désolé Madame Bennett, commença-t-il d’une voix lente et posée. Mais je
vais malheureusement devoir m’absenter dès maintenant pour une urgence
Elle prit un air catastrophé mais déjà il
s’était rapproché de sa secrétaire.
-
Annulez
tous mes rendez-vous de la journée et ceux de la semaine prochaine, je dois
partir le plus tôt possible et je ne sais pas encore quand est-ce que je serais
en mesure de rentrer… Ah, et il me faudrait également le numéro de Monsieur Farmer.
Le visage bien trop maquillé de Bridget
indiquait la même stupeur que celui de sa patiente, mais elle obtempéra
néanmoins.
-
Voilà
et, euh… Est-ce que je dois venir quand même lundi ? » Demanda-t-elle
timidement.
-
Non,
ce n’est pas la peine mais vous serez payée bien entendu.
Bridget ne comprenait toujours pas vraiment ce
qu’il se passait mais ça lui était désormais bien égal. Nathan se tourna vers
ses autres patients qui affichaient tous le même air de curiosité.
-
Je
suis vraiment désolé, mais comme je l’ai expliqué à Mme Bennett, je vais devoir
annuler tous mes rendez-vous de
Il s’en voulait de délaisser ainsi sa
clientèle, mais malheureusement sa mission était autrement prioritaire. Il
revint dans son bureau et composa rapidement le numéro qui Bridget lui avait
donné. M Farmer était un patient régulier qui
travaillait pour
Effectivement Farmer
fut ravi de pouvoir l’aider et en moins de dix minutes, Nathan se vit muni d’un
billet première classe en destination même d’Athènes
pour le lendemain matin. Finalement, les choses commençaient sur des bonnes
bases. Il espérait seulement, que la chance continuerait à lui sourire…
Athènes,
Grèce - 1er juillet 2034 – 17h50
Sarah Morgan
Etirant
voluptueusement ses jambes effilées sur le confortable fauteuil de relaxation,
Sarah se cambra légèrement en appréciant le contact du daim sur sa peau. La
pièce était savamment ombragée grâce à des stores vénitiens, lui conférant
ainsi une fraicheur nettement appréciable. De toute manière, elle pouvait toujours
allumer la climatisation si elle ne se sentait pas suffisamment à l’aise…
Une jeune femme en
tenue de serveuse traversa soudain la véranda d’un pas empressé avant de
réapparaitre, seulement quelques secondes plus tard, les bras chargés d’un
lourd plateau rempli de coupes à champagne.
Adressant un coup
d’œil distrait à l’horloge murale, Sarah nota qu’il était déjà plus de dix-huit
heures. La réception n’allait pas tarder à débuter et elle n’était pas encore
changée. Deux heures devraient être suffisantes cependant, car le soleil grec
avait agréablement doré sa peau, cachant ainsi les quelques rares imperfections
qui auraient pu
Elle se releva
souplement et se dirigea vers l’escalier principal de l’immense villa. En
traversant le hall, elle remarqua d’autres serveurs qui paraissaient tout aussi
empressés que la demoiselle de
- Qu’est-ce qu’il
se passe giagia ? » Demanda-t-elle en
entrant timidement dans la pièce bondée de chefs traiteurs et commis.
La femme à laquelle
elle s’adressait interrompit aussitôt sa discussion, ou pour être plus honnête
son monologue incendiaire, avec l’organisateur de la réception pour se tourner
vers elle.
-
Il
se passe qu’ils n’ont pas prévu suffisamment de personnel ! Soi-disant qu’ils
ont eut des démissions massives à cause d’un plan social, tu le crois ça ?
Je me fiche éperdument de leur plan social, ce que je veux, moi, c’est que ma
soirée soit parfaite !
Elle se tourna d’un
quart de tour sec vers son précédent interlocuteur.
-
Vous
avez entendu ? Parfaite ! Je ne me contente pas d’un à peu
près. Mes convives sont des personnes de goût qui ont l’habitude d’être reçus
avec le luxe qu’ils méritent et, ayant fait appel à vous plutôt qu’à votre
concurrent direct, je pense que c’est le minimum que vous puissiez faire.
Son vis-à-vis
affichait une expression presque désespérée.
-
Mais
madame, je vous assure que nous faisons de notre mieux… » Plaida-t-il d’un
ton suppliant.
-
Oh
arrêtez vos jérémiades et débrouillez-vous ! Embauchez votre famille si
vous voulez, mais trouvez-moi suffisamment de serveurs !
Et sur ces dernières
paroles elle sortit de la cuisine, accompagnée de sa petite fille.
-
Je
te jure que c’est bien la dernière fois que je fais appel à eux… »
Murmura-t-elle alors qu’elles s’éloignaient dans le hall.
Le pauvre organisateur
était resté planté sur place, les bras balans avec la même expression de désarrois
le plus totale. Autour de lui, le reste de son équipe continuait de s’afférer comme
un essaim compact. Finalement, il sortit de sa torpeur et regagna l’entrée de
l’imposante résidence. Descendant lentement les marches du perron, il sortit
son téléphone portable et composa rapidement un numéro.
-
Oui
c’est moi. Ecoute on s’en sort pas ici… Il faut
absolument que tu me trouves du personnel supplémentaire. On va perdre
l’affaire sinon.
Mary Connor
-
Dis,
monsieur. Si tu m'engage, moi, je commence maintenant.
Une adolescente se
tenait sur sa gauche, tentant discrètement de se rendre plus grande. Elle
s'était déplacée si silencieusement qu'il ne l'avait pas entendue approcher. La
gamine s'exprimait dans un grec plus qu'hésitant mais compréhensible en dehors
d'un accent à couper au couteau.
Mary afficha un
sourire avenant sur son visage. Elle avait faim et elle n'avait plus un sou sur
elle. En plus, avec un peu de chance, elle serait logée sur place... Elle avait
débarqué d'un camion quelques heures auparavant et avait profité des douches
d'une piscine publique pour se rendre présentable. Le destin avait voulu que
quelques années auparavant, elle apprenne les rudiments de la langue locale et
cela avait sérieusement joué sur le choix de sa dernière destination. Elle
parlait – mal – plusieurs langues comme le français, le grec ou même l'allemand
mais cela lui permettait en général de trouver facilement un petit job de
saisonnière ou, en l'occurrence, de serveuse.
-
Je
suis Mary. Je porte plateaux, suis polie. J'épluche et fais la plonge, si tu
veux.
Bien sûr, l'homme
pouvait décider de l'ignorer, voire même d'alerter les autorités qui verraient
certainement en elle une fugueuse. Et ils n'auraient pas tort. Cependant,
l'organisateur semblait à bout de nerf et presque désespéré. La jeune fille
croisa les doigts dans son dos pour se porter chance.
-
Je prends pas beaucoup et je commence maintenant
?
Sarah Morgan
Oscar Galiphanakis avait toujours aimé être son propre patron.
Les premières années de sa vie professionnelle durant lesquelles il était
simple commis chez un traiteur renommé, avaient été amplement suffisantes pour
lui démontrer à quel point le rapport de force qu’il existait entre un
employeur et son employé n’était pas fait pour lui.
Cela faisait
maintenant près de dix ans qu’il avait monté sa propre boite. A bientôt 40 ans
et le cheveu déjà grisonnant, il espérait en avoir fini des galères. Pourtant
les affaires n’étaient pas si florissantes qu’il le laissait croire à sa femme.
La hausse des charges et des dépenses imprévues l’avaient pratiquement mis dans
le rouge et il avait été contraint d’élaborer un plan social.
Une bien mauvaise
idée, car bon nombre de ses employés s’était aussitôt mis en grève et il était désormais
sur le point de perdre en plus un gros client.
Alors lorsque cette
gamine, l’air un peu pouilleux et surtout carrément paumé, lui avait proposé
ses services, il ne l’avait pas renvoyée tout de suite. Elle était mineure,
étrangère – probablement même une émigrée clandestine – et piquerait
certainement dans les petits fours afin de se caler l’estomac, son apparence
chétive indiquant clairement qu’elle ne se nourrissait pas suffisamment.
Oui, mais même si son
épouse avait accepté de le rejoindre avec des amies à elle, il n’en restait pas
moins que deux mains supplémentaires seraient sans doute une aide qu’il ne
pouvait pas se permettre de refuser.
Le choix était
cornélien. Il imaginait mal les services de l’immigration débarquer chez Mme Dimitriou pour recenser ses employés, mais en même temps il
savait parfaitement qu’en engageant la petite, il bafouait la loi de la plus
belle manière.
-
Ca
veut dire quoi pas beaucoup ? » Dit-il à l’adolescente en la scrutant
du regard. « Tu es petite, tu ne pourras pas porter des plateaux bien lourds
et en plus tu ne parles pas bien notre langue… »
La gosse n’avait pas
bonne mine et une fois encore il se demanda depuis combien de temps elle
n’avait pas mangé un repas correct. Il pensa alors à sa propre fille, Eliana qui allait bientôt fêter son cinquième anniversaire.
Qu’était-il arrivé à cette pauvre gosse pour qu’elle finisse ainsi ? Quels
malheurs avaient hanté sa courte vie ? Eliana…
Peut-être qu’un jour elle aussi errerait à travers les rues à la recherche d’un
peu d’argent, proposant ses services au premier venu avant de tomber entre les
mains d’un proxénète…
-
Bon
d’accord, » dit-il avec un soupir plein de lassitude. « Je ne te
paierais pas autant que mes autres employés car tu es plus petite, mais tu
auras un repas chaud avant le service. Ca te va ? »
Evidemment la gamine
ne se fit pas prier davantage et l’accompagna dans
Il la conduisit dans
la pièce qui faisait office de vestiaire pour le personnel et la laissa passer
un uniforme taille XXS. Le résultat fut relativement bluffant. Habillée de la
sorte, la petite n’avait plus rien de la petite miséreuse qu’il avait récupérée
sur le seuil de
-
Tu
es jolie, dit-il conscient que c’était là presqu’un euphémisme. Mais je vais te
présenter à Myriam. C’est elle qui dirige les serveurs et qui te dira ce que tu
dois faire. Ah et je voudrais que tu évites de trop parler avec les invités,
qu’on ne voit pas que tu es étrangère…
Il l’étudia du regard,
inquiet de savoir jusqu’à quel point elle était capable de le comprendre.
-
Bon,
attends-moi ici…
Il partit à la
recherche de Myriam, laissant l’enfant seule au milieu du hall. Elle entendit
bientôt des bruits de pas et remarqua deux femmes qui descendaient l’escalier
immense qui trônait au milieu de la vaste pièce. La plus âgée était une belle
femme brune dans le plus pure style grec, quand à sa cadette, sa fille si l’on
en croyait la ressemblance de leurs traits, c’était une jeune fille aux longs
cheveux dorés et aux yeux de la même couleur. Il irradiait de cette dernière
une présence comme Mary n’en avait jamais connue. Une sorte d’aura qui semblait
écraser toute autre personne par son intensité, mais surtout Mary avait
l’impression de la connaitre…
-
Je
me fiche bien de ce que peux dire Shirley, disait justement cette dernière dans
un anglais emprunt d’un accent américain. Cette nouvelle collection est réac,
c’est un fait.
Elles atteignirent la
dernière marche de concert et Mary
croisa alors le regard de la jeune femme. Leurs yeux se fixèrent pendant un
instant qui sembla s’éterniser et la sensation qu’avait eu l’adolescente en
l’apercevant de loin, n’en fut que renforcée.
-
Tiens,
l’organisateur emploie même des enfants maintenant ? » Demanda la
troublante créature à la femme qui l’accompagnait.
Son regard velouté se
plissa légèrement et elle s’avança vers Mary. L’enfant ne lui était pas
étrangère, pourtant elle ne parvenait pas à se remémorer dans quelles
circonstances elle l’avait rencontrée. Etait-ce ici lors d’une précédente
réception ? C’était peu probable, elle ne se rappelait pas avoir jamais vu
une enfant servir lors de l’un des diners auxquels elle avait assisté cet été
là et c’était la première fois depuis des années qu’elle venait en Grèce.
C’était vraiment
étrange et d’ailleurs la gamine semblait avoir la même réaction.
-
On
se connait ? » Demanda-t-elle finalement de but en blanc en langue
grecque.
Mary Connor
Si Mary avait tenu un plateau entre ses mains,
elle l'aurait certainement laissé choir en apercevant la jeune femme. Seigneur
! Elle la connaissait !
...
Elle la connaissait et pourtant, elle ne
l'avait jamais rencontrée. L'espace d'un instant, elle avait été sur le point
de l'appeler par un nom qui était remonté à toute vitesse des tréfonds de sa
mémoire mais le souvenir s'était estompé brutalement. Elle n'était pas parvenue
à se rappeler ce qui lui avait pourtant semblé important. Même la
condescendance affichée de l'inconnue lui semblait familière ! Se sentant
soudain perdue, Mary releva son petit menton avec arrogance. Elle n'avait
jamais courbé la nuque devant quiconque et un travail honnête n'avait rien de
dégradant !
-
Je
ne sais pas, » commença-t-elle dans un grec hésitant.
Oh et puis zut ! Après tout, elle avait
entendu sa conversation précédente...
-
Peut-être
au dernier gala de charité pour les orphelins de Glasgow, » affirma-t-elle
avec insolence en passant à l'anglais, son riche accent écossais reprenant le
dessus.
Puis, se rappelant que sa place déjà précaire
était sans doute en jeu, elle ajouta d'un air faussement contrit :
-
Madame...
Je suis là pour la réception.
Bon sang ! Elle avait besoin de ce travail.
Restait plus qu'à espérer que sa langue trop vive n'allait pas le lui coûter...
Sarah Morgan
Sarah haussa un sourcil dubitatif. Tout
d’abord étonnée que la jeune fille ne soit pas grecque mais apparemment écossaise
- de toute façon, quelle autre nationalité pouvait bien avoir un accent aussi
incompréhensible ? - elle s’était ensuite concentrée sur ces paroles afin
de découvrir enfin, où elle avait bien pu l’avoir vue.
-
Les
orphelins de Glasgow ?
Elle eut une petite moue désapprobatrice comme
si l’idée même de ce genre de réception la répugnait.
-
Non
vraiment, je ne pense pas. » Répondit-elle avec un petit sourire quelque
peu dédaigneux.
Puis
croisant le regard de la demoiselle, elle se contenta d’ajouter,
-
Je
ne suis jamais allée en Ecosse.
Où pouvait-elle bien avoir rencontrée cette
gamine ? Elle avait toujours évolué dans un univers select, donc ce
n’était certainement pas dans un lieu qu’elle était habituée à fréquenter. Oui,
il fallait bien l’avouer la serveuse était quand même une prolétaire de bas
étage, rien à voir avec le genre de personnes qu’elle côtoyait habituellement.
Pourtant, compte-tenu du jeune âge de la
serveuse, cela ne pouvait pas remonter à bien loin…
-
En
tout cas pour ma part je ne pense pas vous connaitre, » fit soudainement
la femme à ses côtés.
Sarah se tourna vers elle et eut une petite
moue. Toute cette histoire commençait à la frustrer au plus haut point et elle
aurait bien aimé pouvoir compter sur l’aide de sa mère. Dire que la soirée s’était
bien amorcée ! Maintenant elle n’allait cesser de rabâcher cette affaire
sans aucune certitude de parvenir à un résultat. Elle avait une sainte horreur
que les choses lui résistent mais là,
elle devait bien se faire une raison…
-
Bon
pas la peine de tergiverser sur cette affaire, je crois que ce serait de toute
façon peine perdue. Il est évident que nous ne fréquentons pas le même milieu
et si ça se trouve, nous nous sommes tout simplement croisées il y a quelques
jours, voilà tout, » dit-elle en congédiant ainsi l’adolescente.
Les deux femmes poursuivirent leur route avec
ce même détachement qu’à leur arrivée, leur entretien inopiné semblant être déjà
un lointain souvenir…
-
Elle
n’est pas un peu jeune pour travailler ? » Demanda la plus âgée à sa
fille alors qu’elles atteignaient l’entrée du grand salon.
-
Bah,
du moment que nous sommes servis correctement…
L’organisateur réapparu à cet instant, cette
fois accompagné d’une serveuse d’une quarantaine d’années.
-
Voilà
c’est elle », déclara-t-il en se plantant devant Mary. « Tu pourras
lui expliquer ce qu’elle doit faire et comment se comporter ? »
La femme la contempla d’un œil averti.
-
Bien
sûr monsieur, nous avons encore beaucoup à faire mais je lui expliquerais
pendant qu’elle m’aidera à finir d’installer la salle.
Toutes deux se mirent bien vite au travail.
Même si Mary avait déjà joué les serveuses, les cafétérias à bas prix étaient
bien loin de la réception ultra chic à laquelle elle s’apprêtait à assister.
Myriam et elles apportèrent les plateaux de petits fours froids sur une immense
table dressée au beau milieu de la salle de réception et disposèrent ensuite
des chaises un peu partout dans la pièce.
La serveuse même si elle semblait tout d’abord
un peu réservée quant à la présence de Mary, et à la charge de travail
supplémentaire qui, du coup, lui incombait, se révéla finalement être une femme
charmante. Elle prit même le temps de lui montrer comment plier des serviettes
de différentes manières et de lui expliquer la différence entre un dressage à
l’anglaise et à la française.
Finalement la soirée débuta et Mary n’eut plus
le temps de penser à son étrange rencontre avec la jeune femme blonde. Le flot
intense d’invités ne semblait jamais s’estomper et la jeune fille ne cessa de
faire des allers-retours entre le salon et la cuisine pour apporter des
plateaux de petits fours que les convives se dépêchaient aussitôt d’engloutir.
Tout le gratin était présent et elle ne
comptait plus le nombre de parures étincelantes qui ornaient le cou de la haute
bourgeoisie athénienne. Les femmes rivalisaient de petites piques à l’égard des
tenues de leurs rivales tout en se montrant incroyablement mielleuses dès lors
qu’elles leur adressaient
Pourtant l’un d’entre eux ne semblait pas
participer à tout ce faste. Un jeune homme qui se tenait autant que possible en
retrait, visiblement peu désireux de devoir faire
Mary Connor
Lorsque l'arrogante propriétaire des lieux
était passée devant elle, Mary avait dressé un majeur dans le dos de la jeune
femme en guise de réplique au dédain de
Je ne
suis jamais allée en Ecosse-euh ! Gniagniagnia ! ...
Non mais franchement ! Quelle dinde !
Puis, elle n'avait plus eu le temps de
ressasser son dégoût des bourgeois, occupée qu'elle était à retenir les milles
recommandations que lui prodiguait sa compagne. Heureusement, l'adolescente
apprenait vite et ne rechignait pas à
Et toc !
Revenant des cuisines,
chargée d'un plateau aux allures gargantuesques, elle le repéra. Il se
tenait en retrait, un air vaguement désemparé gravé sur ses traits harmonieux.
Un frisson remonta le long de son échine et l'espace d'un instant, elle se
figea sur place avant d'être assaillie par une bande de gloutons aussi bien
habillés que voraces et bruyants. Lorsqu'elle parvint à se dépêtrer des
gourmands, son plateau était quasiment vide. Avec un petit soupir, elle leva les
yeux au ciel et repartit d'un bon pas vers les cuisine.
Elle en ressortit avec un nouveau chargement de victuailles et l'estomac qui
criait famine. Circulant gracieusement dans la salle, elle le vit qui avait
battu en retraite devant une fenêtre. Après un instant d'hésitation, elle prit
en pitié l'expression de bête traquée qui s'inscrivait sur son visage et se
dirigea vers lui, lui présentant les petits fours.
-
Le
porte du jardin est ouverte », lui souffla-t-elle gentiment à voix basse
et dans son grec de bazar. « Monsieur, tu vas par là, c'est dans la pièce
à côté. »
Ses mains occupées à tenir le plateau qui
paraissait immense devant sa stature d'enfant, elle indiqua la direction d'un
signe de la tête avant d'improviser une mini révérence et de faire mine de
repartir. La présence de l'homme la faisait frissonner sans qu'elle ne sache
pourquoi. Elle n'était quand même pas du genre à tomber amoureuse du premier
venu comme une midinette... n'est-ce pas ?
Constantin Nielopoulos
Un flot de sang avait noyé les joues mates de
Constantin, comme presque à chaque fois qu’une femme s’adressait à lui mais il
se reprit très vite. Quelle était cette impression étrange qu’il ressentait,
comme si quelque chose de particulier s’exhalait d’elle ? Ce n’était pas
le coup de foudre, auquel il ne croyait pas, si les signes du désir physique,
c’était autre chose, autre chose qu’il ne pouvait définir mais qui lui donnait
une impression de déjà-vu. Une fois qu’il eut retrouvé ses esprits, il se mit à
se dire que cette fille avait un certain aplomb vu sa position mais il n’était
pas du genre à se focaliser sur ce genre de détails. C’était sa mère qui
classait les gens selon leur position sociale, pas lui. Profitant du fait qu’Adonia, toute à sa discussion follement intéressante, ne se
souciait nullement de lui, il suivit la jeune fille et la questionna en
anglais :
-
Excusez-moi…vous
n’êtes pas grecque, n’est-ce pas ?
Il se maudit d’être aussi stupide mais c’était
tout ce qu’il avait trouvé pour l’aborder…
.
Mary Connor
Mary se retourna surprise.
S'était-elle trompée en lui indiquant le chemin ? Pire, s'était-elle jetée elle-même
dans les pattes d'un prédateur sexuel. Du haut de ses quatorze ans,
l'adolescente dévisagea le jeune homme. Il ne se lisait aucune avidité sur son
visage aux traits harmonieux. Juste une certaine mélancolie et elle décida
bientôt qu'il ne présentait aucun danger immédiat.
Pourtant, sa présence la faisait toujours
frissonner.
-
Non »,
répondit-elle », cherchant un mensonge à lui répliquer.
Manquerait
plus qu'il n'alerte les services de l'immigration ou child
focus !
Sarah Morgan
-
Alors
comment tu trouves la soirée ?
Sarah se tenait juste derrière eux, une coupe
de champagne à la main et un superbe sourire affiché sur son beau visage doré.
Elle avisa Mary, ou plutôt son plateau, et son
regard pétilla d’envie.
-
Oh
des petits fours au tarama, j’adore !
Se servant d’un blini encore chaud qu’elle
avala avec un petit sourire mutin, elle s’approcha un peu plus de
l’océanographe.
-
Tu
t’ennuies, je me trompe ? » fit-elle en étudiant le visage de son
vis-à-vis.
Une étrange sensation l’envahit soudain. Un
déjà-vu aussi intense que celui qu’elle avait eut avec la petite serveuse. Où
était-elle d’ailleurs ? Sarah l’aperçut finalement filant vers les
cuisines, son plateau déjà vidé par les convives affamés.
Cette soirée était vraiment bien étrange,
songea-t-elle. Bien sûr sa grand-mère lui avait expliqué qu’elle avait connu
Constantin lorsqu’elle était enfant, elle en avait même quelques vagues
souvenirs. C’était d’ailleurs pour cette raison qu’elle avait décidé de ne pas
laisser le pauvre jeune homme ruminer plus longtemps sa solitude et avait
souhaité le rejoindre.
Mais cette impression n’avait rien à voir avec
leur jeux d’enfants, c’était beaucoup plus intense que cela. Comme si une foule
de souvenirs lointains se ruaient vers son esprit mais sans pouvoir y pénétrer.
Comme si son subconscient y faisait obstacle…
Elle se reprit soudain et secoua la tête pour
se donner un peu de contenance. Elle espérait seulement qu’elle n’avait pas
trop dévisagé le jeune homme… Le pauvre était déjà mal à l’aise face à une soubrette
de même pas quinze ans, alors comment allait-il réagir si elle se mettait à le
fixer de la sorte !
-
Je
suis Sarah Morgan au fait », dit-elle en lui tendant
Regagnant une nouvelle fois la salle de
réception avec un plateau rechargé à bloc, Mary s’approcha successivement d’un
petit groupe d’hommes d’affaires qui discutaient stratégie marketing, avant de
rejoindre jeune femme à la peau brune et aux longs cheveux noirs.
Sa beauté avait d’ailleurs été l’objet de bien
des remarques dans l’assistance, pourtant c’était la première fois que Mary
avait l’occasion de la voir de près. Il semblait bien que la demoiselle ait à
cœur les mêmes principes de discrétions que le jeune homme qui lui avait fait
cette étrange impression quelques minutes auparavant. Et d’ailleurs, une fois
encore, Mary sentait comme une sorte d’aura qui émanait de cette personne et
qui la mettait terriblement mal à l’aise.
La jeune femme lui adressa un regard velouté
et lui sourit en attrapant une coupe de champagne.
-
Merci
beaucoup mademoiselle », dit-elle dans un anglais emprunt d’un accent
espagnol.
L’adolescente remarqua alors que ses traits
n’étaient pas grecs mais plutôt latino. Si l’on y ajoutait l’accent, alors il
ne faisait aucun doute qu’elle était originaire d’Amérique du sud.
-
Il
semble que la soirée batte son plein et que tous se délectent… Poursuivit cette
dernière d’un ton anodin.
Pourtant son regard était intrusif et il était
évident pour Mary que la jeune femme cherchait à l’étudier.
-
Mais
malgré l’argent déployé dans toute cette
cérémonie, je suis sûre que la paie est déplorable. Surtout pour une jeune
fille qui a sans doute besoin d’un petit coup de pouce pour tenir, disons… plus
que les trois prochains jours.
Elle eut un nouveau sourire en constatant la
réaction de l’adolescente.
-
Je
sais ce que c’est de ne pas avoir de toit au dessus de la tête, crois-moi.
C’est pour ça que je te propose un deal…
Elle s’éloigna légèrement du groupe de
businessmen et entrouvrit son sac à main. A l’intérieur se trouvait une épaisse
liasse de billets. Mary ne savait pas exactement combien d’argent cela
représentait mais devinait aisément que ça lui permettrait de vivre
confortablement pendant au moins plusieurs mois…
-
Alors,
qu’en penses-tu ?
Constantin Nielopoulos
Constantin, encore un peu mal à l’aise par son
action précédente, prit la main tendue et acquiesça :
-
Constantin
Nielopoulos. Oui, en effet, je crois que nous nous
étions rencontrés autrefois, il y a longtemps…
Il tentait désespérément de retrouver
l’apparence exacte qu’avait Sarah à l’époque, creusant jusqu’au fin fond de sa
mémoire, mais il n’y parvint que partiellement. Il fallait dire qu’il
avait rencontré tellement d’enfants autrefois en suivant ses parents qu’il lui
était difficile de se souvenir de tous. Cependant, s’il ne se souvenait pas
totalement précisément d’elle à l’époque de ses huit ans, il eut une impression
étrange, qu’il reconnut être du même type que celle qui l’avait poussé à
interpeller la jeune fille, mais sans être tout à fait identique, plus forte.
Est-ce qu’il était en train de perdre la tête ? Il ne comprenait rien à
tout cela mais se dit qu’il était peut-être surmené… Voilà, ça devait être ça,
plus le fait qu’il détestait se trouver là.
Il reprit rapidement sa contenance et eut un
sourire pour répondre aux efforts de la jeune femme pour alimenter la
conversation.
-
A
vrai dire, je ne suis ici que pour accompagner quelqu’un… » Expliqua-t-il.
Pas une once de mensonge là-dedans, il n’était
là que pour accompagner sa mère…
Sarah Morgan
La demoiselle haussa un sourcil plein de
curiosité.
-
Ah,
tu n’as donc aucune envie d’être ici. Ca me parait
étrange comme réaction mais bon tu es libre de tes pensées, hein ! »
Dit-elle avec un rire enjoué.
Elle tourna la tête et avisa Madame Nielopoulos qui conversait agréablement avec une femme du
même âge qu’elle semblait bien connaitre.
-
Je
vois, c’est ta mère qui ta emmené ici manu militari…
Son regard rieur indiquait que son ennui
confessé était tout pardonné.
-
Je
ne dirais rien à ma grand-mère, promis.
Elle l’attrapa par le poignet et le conduisit
à travers la grande salle vers la pièce avoisinante.
-
Je
crois que cette petite serveuse a eu une bonne idée en parlant du jardin »,
dit-elle sur le ton de la confidence. « Nous pourrions aller y faire un
tour, qu’en penses-tu ? »
Ils passèrent devant un groupe de jeunes
femmes qui babillaient entre elles avec force de petits ricanements. Sarah les
salua d’un sourire et certaines se mirent à pouffer avec malice tout en dévisagent
Constantin. L’océanographe comprit alors qu’elles s’imaginaient qu’il y avait
quelque chose entre lui et Sarah.
-
Je
suis sure qu’elles auront lancé les paris avant même qu’on ait atteint l’autre
salle », confirma d’ailleurs la jeune femme dès qu’ils furent hors
d’écoute.
Elle le regarda avec amusement et sourit
davantage.
-
D’ailleurs,
je suis certaine que tu es tout à fait au goût de Sofia et Malika. Physiquement je parle, après je me demande
comment elles réagiraient en apprenant que tu détestes les réceptions et que tu
n’es qu’un océanographe et non un futur PDG richissime…
Ils avaient presqu’atteint l’arcade qui
séparait la salle de réception du petit salon. Adossé à un mur se tenait un
homme de haute stature, au costume austère et qui portait une oreillette tout à
faite distinctive.
-
Le
service de sécurité de ma grand-mère », expliqua Sarah en interceptant le
regard interrogateur de Constantin. « Il parait qu’il y a eu une
recrudescence de home-jacking à Athènes ces derniers
temps, alors elle se montre méfiante… Surtout ce soir où toutes ses invitées
ont apporté leurs plus belles parures… »
Effectivement, le jeune homme pouvait
apercevoir au moins trois autres agents postés un peu partout dans
Sarah eut une petite moue gênée et s’approcha
de son oreille.
-
Et
puis motus, mais je l’ai entendu dire que nous avions une personne très importante
ici… Je ne sais pas qui c’est, malheureusement. Pourtant crois-moi, c’est pas faute d’avoir observé tout le monde depuis le
début de la soirée.
Elle eut un léger soupir et haussa les
sourcils.
-
En
même temps je ne connais pas vraiment le gratin grec, alors ça complique un peu
la tâche… Tu n’aurais pas une petite idée ?
Ils étaient sur le point d’entrer dans le
petit salon mais un homme, qui en sortait d’un pas vif, manqua de les heurter.
Grand, le teint brun, il fit tout de suite mauvaise impression à Constantin
sans que le jeune homme ne susse pourquoi.
-
Bonsoir
Sarah, » fit-il d’une voix presque mielleuse dès qu’il l’aperçut.
Toute couleur quitta instantanément le beau
visage de la jeune femme et Constantin crut même qu’elle allait défaillir. Les
poings serrés, elle releva finalement le menton en signe de défit et inspira profondément.
-
Viens
Constantin, ne restons pas ici. L’atmosphère est viciée… » Dit-elle d’une
voix tendue en se dépêchant de rejoindre la pièce suivante.
Constantin Nielopoulos
L’océanographe, qui trouvait qu’aller dans le
jardin était une très bonne idée vu l’ambiance et se moquait comme d’une guigne
des on-dits et des conspirations matrimoniales faites
à son égard, eut presque une réaction instinctive de recul face à l’homme, mais
n’abaissa pas pour autant son regard de mer calme. Vraiment, il ne le sentait
pas du tout, il exhalait de lui quelque chose de mauvais. Avec une certaine
surprise, il vit que Sarah avait la même réaction que lui, même si elle
l’extériorisait plus.
Sans un regard supplémentaire sur l’homme,
avec juste un signe de tête en guise de salut, il emboîta le pas à Sarah et la
rejoignit dans la pièce suivante.
-
Qui
était-ce ? » S’informa-t-il.
Après tout, il l’avait peut-être connu
autrefois, sinon comment expliquer cette réaction étrange ? En tout cas,
il ne précisa pas ce qu’il avait ressenti, mieux valait garder cela pour lui
pour que Sarah évite de le prendre pour un fou…
Pourtant, il reprit vite sa contenance et
répondit sur un ton qu’il espéra normal à la question qu’elle lui avait posée
juste avant, histoire d’être poli et d’essayer d’alléger l’ambiance.
-
Je
suis désolé de ne pouvoir te dire qui est la personne importante, j’ai quitté ce
milieu depuis un bon moment…
Sarah Morgan
-
C’est
pas grave, » murmura la jeune femme d’une voix absente.
Les deux jeunes gens avaient maintenant
atteint un petit salon assez coquet. Une table ronde était placée en son
centre, entourée de fauteuils de style XIXème et de plusieurs meubles de la
même époque. Sur leur droite se trouvaient deux larges portes-fenêtres qui,
comme l’avait indiqué Mary, menaient directement au jardin. Ils sortirent en
silence et s’avancèrent sur la terrasse déserte.
-
La
soirée à l’air de bien se dérouler, hein ? » Demanda Sarah dès
qu’ils furent dehors.
Son ton était tendu et malgré le faible
éclairage extérieur, Constantin voyait bien qu’elle était toujours très pâle.
La jeune femme fit alors quelques pas rapides avant de s’arrêter net. Son
visage était raidi par la tension et elle se tordait les mains sans même s’en
rendre compte. Un signe de nervosité qui alerta davantage Constantin, surtout
qu’elle n’avait toujours pas répondu à sa question.
Finalement, avec un soupir las et presque
désespéré, Sarah se tourna vers lui.
-
Cet
homme, c’est Raheem Ozsan. Un
collaborateur de ma mère…
Il y eut ensuite un long silence durant lequel
l’atmosphère s’alourdit encore un peu plus. Le regard fuyant de Sarah se
portait alternativement sur le sol boisé de la terrasse, puis vers la lune
pleine qui les surplombait. Constantin, sentant que la jeune femme avait besoin
de temps pour se confesser, ne la pressa pas. Il resta silencieux et attendit
patiemment qu’elle se sente prête.
Sarah se mordit les lèvres et eut un sourire
triste.
-
En
fait je le connais depuis le début de l’année. C’était… un homme plutôt gentil,
en tout cas charmant. En fait, je suppose que c’est
toujours le cas en fait, sinon ce genre de personne n’arriverait jamais à…
Ses yeux brillèrent soudain et sa bouche se
crispa en un rictus désespéré.
-
Tu n’arrête pas de
m’aguicher depuis le début de la soirée et maintenant tu joues les
prudes ?
Non, elle ne l’entendait pas. Il n’était pas
là !
-
Allez… Arrête un
peu !
Ses mains la saisirent
par les épaules et elle se retrouva bloquée contre le mur. Elle pouvait sentir
son souffle chaud contre son cou, alors que son torse venait s’appuyer contre
sa poitrine.
-
Je suis sûr que tu en
as envie…
Non, non, non…
Ses mains remontèrent
le long de ses cuisses et glissèrent sous sa robe bien trop courte. Il n’y
avait personne pour l’aider, personne…
-
Tu vas voir, ça va
être bon…
S’il vous plait, que quelqu’un
m’aide !
Elle essuya rapidement une larme solitaire qui
coulait le long de sa joue et releva le menton. Pour la première fois depuis
qu’ils étaient dehors, elle osa regarder Constantin dans les yeux et son regard
n’avait maintenant plus rien de celui d’une victime.
-
Il
a essayé d’abuser de moi… Heureusement il a été interrompu avant qu’il n’ait
pu… Mais je sais qu’il ne va pas en rester là.
Il
y eut un léger bruit un peu plus loin et elle ne put s’empêcher de tressaillir.
Serrant ses bras contre elle, elle baissa légèrement la tête, un peu honteuse.
-
Je
ne m’attendais pas à le voir ici… Pourtant c’était évident que ma grand-mère
allait l’inviter... Ce que je peux être stupide !
Constantin Nielopoulos
L’océanographe
était terriblement touché par ce qui était arrivé à Sarah. Étant lui-même un
homme, il se sentait toujours terriblement honteux des excès de ses semblables
qui croyaient toujours savoir mieux que les femmes ce qu’elles ressentaient.
Comment ceux qui se prétendaient des hommes pouvaient-ils ainsi les molester?
Décidément, la mauvaise impression qu’il avait eue d’Ozsan
était un faible mot pour cette pourriture qui avait osé essayer de prendre de
force ce qu’une jeune femme ne voulait pas lui donner.
Il tenta un sourire rassurant, y parvint
presque et, fouillant dans sa poche, en sortit un mouchoir brodé qu’il tendit à
Sarah.
-
Personne
n’est stupide, ici… », dit-il seulement.
Elle avait beau avoir l’air de s’être
calmée, il la sentait encore agitée et il savait qu’elle n’aurait pas accepté
le moindre geste de commisération de sa part…
Mary Connor
Tout d'abord prise de court, l'adolescente se
redressa. La vue des billets faillit lui faire perdre toute prudence mais la
présence de la femme allumait dans son esprit toutes ses sonnettes d'alarme.
D'un autre côté, une somme pareille...
-
Ben
ça dépend de ce que vous voulez, » répliqua-t-elle sans se démonter.
Elle n'était pas prête à mettre ses hôtes dans
l'embarras ou à porter atteinte à leur propriété. Elle devait bien ça à son
employeur... Tout faux pas de sa part lui retomberait dessus.
Celia Nunez
La jeune femme eut un sourire mystérieux et
s’éloigna encore un peu du reste des convives.
-
Ce
que je veux est très simple en fait. En tant que serveuse, c’est toi qui donne
les verres aux invités…
Ses yeux chocolat brûlèrent soudain d’une
impatience irrépressible.
-
Je
sais que tu crains pour ta place, mais crois-moi entre un boulot d’un soir et
ce que je te propose… Enfin moi, personnellement, j’aurais vite fais de
choisir.
Elle avisa les trois uniques coupes de
champagne qui subsistaient encore sur le plateau que tenait l’adolescente et en
prit une.
-
Deux
coupes seront bien suffisantes, » dit-elle en sirotant une gorgée du
breuvage pétillant.
Reposant le verre sur une petite table
d’appoint en bois d’acajou, elle tira alors une fiole de son sac. Elle ne
montra la petite bouteille qu’un court instant à Mary, le temps que
l’adolescente comprenne de quoi il s’agissait, avant de refermer sa main sur
l’objet.
-
Je
veux que tu verses ce produit dans le verre de Sarah Morgan. C’est la jeune
femme blonde que tu as servie il n’y même pas cinq minutes.
Elle savait parfaitement que la serveuse avait
identifié
-
Elle
est seule avec ce jeune homme, si je ne m’abuse… » Dit-elle sans se
départir de son sourire charmeur.
Son regard avait dévié vers l’autre bout de la
salle, que les deux jeunes gens étaient justement en train de quitter pour s’isoler.
-
On
dirait qu’en plus ils ont envie d’être seuls… C’est parfait, tu ne trouves
pas ?
Elle capta l’expression de Mary et son visage
devint étonnement compatissant.
-
Je
suis sûre qu’on ne pensera pas un seul instant que c’est toi, et puis le temps
qu’ils fassent une enquête et cætera… Ne t’inquiètes pas, tu seras déjà bien
loin. Avec l’argent que je vais te donner tu pourrais être au fin fond de la
Laponie avant même qu’ils ne pensent à t’interroger.
Avec un haussement de sourcils, elle reprit
une gorgée de sa propre coupe de champagne. Ses yeux n’avaient pas quitté le
visage de Mary, dont elle semblait étudier la réaction avec attention.
Finalement, elle eut un soupir et reposa à
nouveau son verre.
-
Ok,
ce produit est inoffensif. J’aurais peut-être du commencer par ça, d’ailleurs… mais
je ne pensais pas que tu étais à ce point à cheval sur certains principes…
Bref, c’est juste un sédatif. Aucun risque pour sa santé.
Son regard était sincère, du moins autant que
Mary pouvait en juger. La jeune femme attrapa ses mains et lui plaça la fiole
entre les doigts.
-
Ils
sont seuls, dis-leur qu’une petite coupe de champagne leur fera le plus grand
bien et ensuite va-t-en par la porte qui est à côté de vos vestiaires. Elle
conduit à l’autre bout du jardin et tu pourras alors regagner la rue.
Elle sortit alors la liasse de billets qu’elle
sépara en deux et plaça discrètement la première moitié dans la poche du
tablier de l’adolescente.
-
Tu
auras l’autre partie quand tu m’auras rejoint en dehors de
Mary Connor
Pendant le discours de la jeune femme, Mary
avait fini par baisser le nez, d'un air pensif, dissimulant son visage. Bien
sûr, elle n'aimait pas la pimbêche et s'il ne s'était s'agit que de verser un
laxatif dans son verre, elle ne se serait pas gênée.
Juste une blague, hein ?
Elle en avait déjà fait l'expérience : les
adultes ne disent jamais
Non, les adultes ne disaient jamais la vérité
et celle-là était un spécimen qui ressemblait plus à un requin qu'au banc de
sardines imbues d'elles-mêmes qui peuplait la salle.
-
Non,
» dit-elle suffisamment haut pour être entendue des personnes présentes à
proximité. Gardez-le, votre fric. J'en veux pas ! »
Elle n'était pas à vendre. Et ça, les grandes
personnes n'avaient jamais pu le comprendre.
Un long frisson remonta le long de son échine
et elle recula de quelques pas avant de se glisser entre deux groupes d'hommes
d'affaire. Enfin, lorsqu'elle fut assez loin, elle osa seulement lui tourner le
dos et filer hors de sa vue. Son cœur battait la chamade et les deux dernières coupes
de champagne prélevées par des convives assoiffés, elle fila reprendre un
nouveau chargement. Soudain, elle se sentait responsable de cette Sarah qui
prenait des grands airs. S'il lui arrivait quelque chose... Peut-être
devrait-elle prévenir quelqu'un... Mais qui la croirait ? Elle n'était qu'une
vagabonde et
Celia Nunez – Myriam
Kavafis
Celia ne répondit pas à l’exclamation de la
serveuse, pourtant un pli profond barrait désormais son front entre ses yeux de
velours. Un trait disgracieux qui montrait qu’elle n’avait pas apprécié le
refus et encore moins le ton sur lequel elle l’avait assené.
Fort heureusement l’adolescente s’était
exprimée en anglais et le groupe de businessmen était bien trop accaparé par
une conversation, au thème plus que douteux, pour qu’aucun de ses membres ne
prête réellement attention à son éclat de voix.
Une mince aubaine dans une situation bien
ennuyeuse, en somme…
Serrant les dents, elle fit un signe de tête
négatif à l’intention d’une autre personne qui venait de rentrer dans la salle.
Alors que Mary cherchait Sarah et le jeune
homme dans le petit salon, Myriam la rejoignit chargée d’un large plateau dépourvu
du moindre verre.
-
Alors
ça va ? » Questionna-t-elle puis, remarquant son expression, elle
haussa un sourcil inquisiteur.
-
Et
bah t’en fais une tête ! Tu as besoin d’une pause, toi…
Elle attrapa le plateau, également vide, de Mary
et la poussa en direction des cuisines.
-
Tu
es encore jeune pour ce genre de travail. C’est fatiguant et j’imagine que les
exigences de certains invités ne sont pas toujours faciles à exécuter pour une
débutante.
Pour le coup, Myriam n’aurait pas pu être plus
proche de
-
Mais
je suis contente de toi. D’après ce que j’ai pu voir, tu as fait du bon
travail. D’ailleurs, malgré le fait que nous soyons moins nombreux que prévu,
tout se passe très bien.
Elles s’installèrent contre un plan de travail
qui ne semblait pas trop utilisé et Myriam posa les plateaux avec soulagement.
-
Monsieur
Galifanakis est même venu me dire tout à l’heure
qu’il était très content de toi, » dit-elle alors sur le ton de la
confidence.
Un serveur apporta un plateau remplit de
verres sales, qu’il déposa l’un après l’autre sur l’établit. Comprenant
qu’elles allaient rapidement le gêner dans son travail, Myriam fit signe à Mary
de
-
On
sera plus tranquilles là. De toute façon, on ne va pas s’absenter longtemps…
Myriam se dirigea directement vers une
bouilloire pleine qu’elle mit en route.
-
Et
bah, j’espère au moins que tout continuera ainsi… J’avoue que j’aime bien ce
genre de réceptions, même si elles sont épuisantes… Par contre, il faut être
ultra méfiant avec les invités.
Elle attrapa deux tasses qui se trouvaient à
proximité, ainsi que deux sachets de thé qu’elle plaça au fond.
-
Ils
pensent que compte-tenu de leur statut, toutes leurs exigences doivent être
exécutées sur le champ et à
Plaçant les deux tasses fumantes devant elles,
elle s’assit aux côtés de l’adolescente.
-
Tiens
ça va nous redonner quelques forces avant d’affronter de nouveau la
jungle… » Dit-elle avec un petit rire.
Elle but une gorgée du liquide chaud et eut un
soupir d’aise.
-
En
tout cas tu sais tenir un plateau… Tu as déjà été serveuse n’est-ce pas ?
Mary Connor
- Ouais, » répondit la jeune fille en remuant les épaules pour les décrisper.
Puis, s'apercevant qu'elle avait répondu en anglais, elle reprit dans son grec de bazar.
- Quelques fois... Mais pas dans des maisons comme ça. »
Elle sourit pour adoucir sa réponse courte.
Elle n'était pas vraiment dans la conversation, tourmentée par les répliques
qu'elle aurait pu sortir à l'intrigante... Pourquoi n'avait-elle pas accepté
l'argent et fait semblant de droguer Sarah ? Ou pourquoi ne s'était-elle pas
précipitée vers un membre de la sécurité pour lui dire de courir après la jeune
femme ? Mais bon, là elle avait déjà sa réponse ? Qui la croirait ? Sa bouche
se plissa en un pli amer. Et surtout, pourquoi se souciait-elle à ce point de
cette évaporée qui n'avait fait que la regarder de haut depuis qu'elle était
arrivée ? Pourquoi ressentait-elle le besoin irraisonné de courir la rejoindre
pour s'assurer qu'elle ne risquait rien ? De toute façon, que pourrait-elle
bien faire ? Elle n'était qu'une gamine... qu'une fugueuse.
- Dis... Cette fille. Sarah Morgan. Elle est d'une grande famille, » commença-t-elle en fixant le filet de fumée qui s'élevait de son mug.
Elle devait au moins essayer de mettre quelqu'un au courant ! Et si c'était Myriam qui en parlait aux responsables de la soirée, elle serait certainement plus crédible qu'elle. Déjà, elle était grecque de souche et adulte !
- Y a des gens qui pourraient lui en vouloir ? Parce que... Y a cette femme qui voulait que je verse un truc dans son verre. Pour la droguer.
Elle releva la tête vivement vers son aînée.
- J'ai refusé ! » précisa-t-elle très vite devant la mine choquée de sa compagne.
Soudain, une pensée
- Mais je crois que c'était pas juste une blague comme elle a dit. Elle voulait me donner trop d'argent pour ça.
Un frisson remonta le long de son échine. Si elle avait accepté et si elle était partie la rejoindre dehors comme elle l'avait dit... que lui serait-il arrivé à elle ? Elle n'avait aucune attache dans le coin, il aurait été facile de se débarrasser d'elle.
-
Tu
veux bien aller prévenir quelqu'un ? » implora-t-elle presque.
« Moi... On me croira pas. »
Puis, elle reposa son mug
sur le meuble et se leva indécise. Elle devait retrouver Sarah mais si Myriam
ne la croyait pas que pourrait-elle faire toute seule ?
Myriam Kavafis
Un long silence suivit les déclarations
surprenantes de l’adolescente. Myriam la contemplait avec une sorte
d’ébahissement un peu niais, sa tasse de thé pour le moment complètement
oubliée.
Finalement, après ce qui parut une éternité à
Mary, elle cligna plusieurs fois des yeux et répondit :
-
Tu
viens de dire que quelqu’un ici, une invitée, veut empoisonner la petite-fille
de Madame Dimitriou ? J’ai bien compris, c’est
bien ça que tu viens de me dire ?
Devant la confirmation muette de
l’adolescente, Myriam secoua
-
Ok,
reprenons depuis le départ.
Elle posa ses deux mains à plat sur la table
et regarda Mary droit dans les yeux.
-
Alors
que tu servais les invités, » commença-t-elle d’une voix lente et posée de
manière à être certaine que l’adolescente la comprenne, « L’une d’elles
t’as demandé de verser quelque chose dans le verre de Sarah Morgan. Pour lui
faire une blague. »
Alors que Mary confirmait à nouveau, Myriam
eut un soupir et leva les yeux au ciel, visiblement troublée.
-
C’est
vrai qu’elle est riche et qu’il y a beaucoup de jaloux, » continua-t-elle
d’un ton pensif.
Son esprit fonctionnait à toute vitesse, il y
avait beaucoup de variables à analyser et il fallait absolument prendre les
bonnes décisions.
-
Cette
réception est importante… Une bonne partie du gratin est présente ce soir et
crois-moi qu’il vaut mieux être irréprochable. D’après ce que j’ai compris,
Sarah Morgan n’est pas revenue en Grèce depuis des années et elle fait un peu
figure de starlette si tu vois ce que je veux dire…
Une fois encore elle étudia le visage de Mary
pour vérifier qu’elle comprenait bien ses propos.
-
Une
mauvaise blague pourrait ruiner sa popularité ici, et pour ces personnes c’est
peut-être ce qu’il y a de plus important… J’imagine que bien des personnes
auraient préféré qu’elle reste aux Etats-Unis plutôt que de venir leur voler la
vedette…
Elle resta pensive pendant quelques secondes,
puis croisa les bras.
-
Bon
voilà ce qu’on va faire : On va aller voir monsieur Galifanakis,
après tout c’est notre patron, alors il faut lui rendre compte de cette
histoire, qu’elle soit vraie ou pas, avant toute chose.
Myriam
hocha de la tête comme si elle se convainquait elle-même de la pertinence de
son idée.
-
Il
faudra tout de même ne pas trop trainer… Elle aura peut-être tellement envie de
faire cette blague qu’elle n’hésitera pas à verser ce produit elle-même… Mais
avec le service de sécurité qu’il y a, ça risque quand même d’être dur.
Reprenant délicatement sa tasse, elle but une
gorgée du thé encore bien chaud et sembla retrouver la totalité de ses esprits.
-
Oui
d’ailleurs si on ne trouve pas monsieur Galifanakis
tout de suite, on ira directement voir le chargé de sécurité pour lui demander
de garder à l’œil cette femme…
Elle contempla Mary et posa une main sur son
bras.
-
Voilà
comme ça tu es rassurée ? Allez, bois ton thé avant qu’on y aille.
Et, avec un petit rire amusé, elle
ajouta :
-
Je
t’assure que je n’ai rien mis de mauvais pour toi dedans.
Mary Connor
L'adolescente doutait qu'il s'agisse d'une
simple blague mais elle s'abstint de faire de commentaires. Elle sourit
néanmoins de la boutade de son aînée avant de finir son thé presque d'une
traite. Le sentiment qu'il ne fallait plus traîner la taraudait.
Sarah Morgan
Elle regarda Constantin avec une expression
indescriptible. Tout d’abord l’océanographe crut décrypter de la colère ou encore
de la honte mais ensuite il pensa davantage à de l’incompréhension pure et
simple.
Les propos de la jeune femme confirmèrent
cette dernière pensée.
-
Tu
crois vraiment que je ne suis pas stupide, » dit-elle avec un soupir qui
transpirait d’ironie.
Elle regarda son verre un court instant avant
de le vider d’une gorgée.
-
Je
vais te dire à quel point je suis bel et bien stupide…
Cette fois son ton indiquait sans conteste de
la colère et même du dégout. Sa bouche sensuelle formait un mauvais pli que
Constantin avait trop souvent vu sur le visage des ses parents dès lors qu’il
parlait de ses promenades sur la plage ou encore de son métier.
-
Je
suis stupide au point d’avoir manqué de me faire… violer,
Elle renifla de façon audible en prononçant ce
mot, car il était encore difficile pour elle de l’admettre.
-
D’avoir
manqué de me faire violer pour un homme qui continue pourtant de travailler
pour ma mère. Quelqu’un que je vais être amenée à revoir je ne sais combien de
fois et qui ne manquera pas la moindre occasion pour arriver à ses fins !
Sarah criait presque maintenant et c’était une
chance qu’ils soient seuls dans le jardin, sans quoi la jeune femme se serait retrouvée
dans une bien fâcheuse posture…
-
Et
je ne peux rien dire, tu sais… » Finit-elle d’une voix étonnement douce.
Elle baissa les yeux et se mordit les lèvres
de désarrois.
-
J’ai
fait de mauvaises choses et quelque part je me dis que Dieu, le sort, enfin
quelque chose cherche maintenant à me le faire payer.
Son regard croisa timidement celui de Constantin
et une fois encore, elle sembla y puiser la force nécessaire pour poursuivre.
-
J’ai
peur. Enfin, je ne te demande pas de faire quoi que ce soit pour m’aide, je te
rassure ! D’ailleurs qu’est-ce que tu pourrais bien faire… » Un
haussement de sourcils ponctua ses propos et elle poursuivit, « C’est
marrant, on se connait à peine et pourtant je t’ai tout raconté. Tout, et tu es
la première personne à qui je dis tout ça… C’est quand même bizarre… »
Un bruit de pas l’interrompit soudain et tous
deux regardèrent en direction du nouveau venu.
-
Excusez-moi,
je ne voulais pas vous déranger.
C’était une belle femme, de type hispanique et
qui semblait avoir à peu près leur âge. De taille moyenne, elle portait une
robe pourpre qui mettait en valeur sa peau halée et sa longue chevelure sombre.
Elle tenait dans ses mains deux coupes de champagne qui semblaient intactes.
-
Je
commençais à en avoir un peu assez de tout ce monde alors quand j’ai vu le
jardin, c’était trop tentant. Mais je ne pensais pas que d’autres auraient eu
la même idée… J’espère seulement que je n’interromps pas une conversation
importante…
Ses yeux chocolat passèrent successivement de
Sarah vers Constantin et elle leur sourit aimablement. Son ton laissait
entendre qu’elle espérait ne pas être intervenue au milieu d’une déclaration
d’amour ou autre discussion de ce genre. En fait, elle était bien loin de la
réalité…
Elle regarda la coupe vide de Sarah un court
instant avant de tendre l’une des siennes.
-
Mon
compagnon a du quitter précipitamment la réception pour son travail… »
Commença-t-elle avec une pointe de regret. « Nous n’avons même pas eu le
temps de trinquer et… je ne pense pas rester davantage, maintenant que je suis
seule… »
Se tournant un court instant vers la demeure
qui se tenait derrière elle, elle s’approcha ensuite un peu plus du couple.
-
Je
ne connais pas grand monde et puis il y a cet homme qui m’a fait des avances
plus que déplacées, malgré mes nombreux refus diplomatiques. Alors plutôt que
de devoir recourir à ma bombe anti-agression, je préfère encore m’éclipser
avant que cette situation ne s’envenime… »
Sarah avait retenu son souffle durant toute la
durée de ses explications. Machinalement, elle attrapa le verre tendu mais elle
continuait à fixer intensément la jeune femme. Il y avait quelque chose chez
elle qui la dérangeait mais elle mit ça sur le compte de son histoire qui
ressemblait bien trop à ce qu’elle avait vécu. S’agissait-il d’Ozsan ? Il était là après tout et c’était bien son
genre. Après tout, quand on était aussi malade que lui, on ne pouvait pas
s’arrêter avant d’avoir obtenu satisfaction.
Et si au contraire, elle avait tout
inventé ? Non comment aurait-elle pu savoir… Constantin et elle étaient
seuls quand elle lui avait parlé, ça elle en était certaine !
-
Je
vais vous laisser tranquilles… » Poursuivit finalement la femme qui
commençait déjà s’éclipser. « Passez une bonne soirée. »
Sarah et Constantin la regardèrent partir en
silence puis la jeune américaine lui tendit le verre qu’on lui avait offert.
-
Je
ne sais pas trop si c’est une bonne idée que je continue le champagne après
t’avoir déjà raconté tout ça… Tiens, bois-donc à ma santé !
Mais malgré ses propos, elle continuait à
regarder la coupe avec envie…
Constantin Nielopoulos
L’océanographe
n’était pas d’un tempérament proprement inquiet ni soupçonneux et il trouva
l’histoire de l’autre jeune femme somme toute assez triste. Et, soucieux de
faire plaisir à Sarah vu qu’il n’avait quasi rien bu jusque-là, il prit
la coupe et la leva :
-
A
ta santé !
Et
il en but une gorgée…
Sarah Morgan
-
En
tout cas c’est très gentil de m’avoir écoutée » Répondit la jeune femme
d’une voix douce.
Elle eut un sourire un peu gêné et haussa finalement
des épaules.
-
On
ne se connait pour ainsi dire pas du tout et… enfin, je sais que je ne t’ai pas
non plus vraiment laissé le choix, mais… tu es resté et ça m’a beaucoup aidée.
Son air était sincère et elle semblait aussi
avoir repris quelques couleurs. La confidence, si dure soit-elle, avait été
réellement bénéfique.
-
Tu
es quelqu’un de bien, tu sais… Je le sens.
Contre toute attente, elle s’autorisa même une
petite moue amusée.
-
Enfin,
je veux dire mis à part pour le fait que tu ais accepté de jouer les psys
gratuitement avec moi ! Non, en fait ça va peut-être te paraitre un peu
étrange mais j’ai toujours réussi à bien juger les personnes que je rencontre
et dans ton cas je sens que tu es fondamentalement une bonne personne !
Elle avait dit cela sur le ton de la
plaisanterie mais Constantin sentait qu’elle était en fait parfaitement
sérieuse. La silhouette fine et gracieuse de la jeune femme se fondait
parfaitement dans le décor joliment boisé du jardin mais la lune brillait moins
désormais et il devenait de plus en plus difficile pour l’océanographe de
distinguer ses traits. Et puis il se sentit soudainement tanguer, comme s’il se
trouvait sur le pont du bateau de la fondation plutôt que sur la terre ferme…
Pourtant le sol n’avait pas bougé. Sarah le
contemplait à présent avec une certaine inquiétude mais il ne parvenait pas à
retrouver à sa contenance et à la rassurer.
-
Est-ce
que ça va ? » Demanda-t-elle en s’approchant de lui.
Un spectre blanc passa devant son visage
et il réalisa trop tard qu’il s’agissait
de la main de la jeune femme. Il recula par reflexe et perdit l’équilibre.
Tombant lourdement sur le sol, il sentit ses membres s’ankyloser à une vitesse
effrayante. Il ne pouvait pratiquement plus bouger et même son esprit semblait
être complètement cotonneux.
-
Constantin !
La voix de Sarah semblait terriblement
lointaine… Ses oreilles se mirent à siffler pendant un court instant, puis ce
fut le silence. Il vit seulement son visage terriblement inquiet penché sur le
sien et la silhouette sombre qui se profilait derrière elle…
-
Un
spectre…
Les mots étaient parfaitement clairs, comme
s’il les avait entendus directement dans son esprit. Et cette voix… Cette voix
était tellement familière !
Constantin Nielopoulos
Constantin, encore sur le sol, éprouvait les
plus grandes difficultés à réfléchir. Que lui arrivait-il ? Son esprit aux
rouages soudainement grippés réussit à déduire qu’il y avait quelque chose dans
le champagne…une femme fragile, tu parles ! Et puis il y avait cette
histoire de spectre…cette silhouette derrière Sarah en était un, il ne savait
pas pourquoi il en était sûr mais il l’était. Il tenta de tendre la main, n’y
parvint pas et dit seulement d’une voix à peine audible et articulée avec
effort :
-
Attention…derrière…
Mais pourquoi cette voix lui était-elle si
familière ? Et comment avait-il fait pour l’entendre ? Par un sursaut
énorme de volonté, il tenta de lutter contre la terrible somnolence qui le
gagnait et banda toute sa volonté pour y arriver…
Sarah Morgan
Sarah le regarda avec une expression
interdite.
-
Quoi ? »
Demanda-t-elle en s’approchant un peu plus près de son visage.
Qu’essayait-il de lui dire ? Et
qu’avait-il ? Etait-il malade ou simplement ivre ? Non, il n’avait
pas beaucoup bu et surtout il n’avait certainement pas l’attitude de quelqu’un
qui avait trop forcé sur
Elle sentit soudainement une présence derrière
elle et les paroles de Constantin prirent alors tout leur sens. La jeune femme
se retourna d’un coup et fut frappée en plein visage. Avec un cri, elle retomba
sur le dos et toucha sa joue brûlante.
-
Alors
ma jolie, contente de me revoir ?
Cette voix ne laissait aucun doute sur
l’identité de son agresseur. Sarah se redressa aussi vite qu’elle le put et
commença à reculer. L’homme la regarda faire mais l’attrapa par le poignet
avant qu’elle ne puisse se relever complètement.
-
Et
bah, tu ne comptes quand même pas me fausser compagnie si vite, hein ?
A ses pieds l’océanographe eut un gémissement
alors qu’il tentait désespérément de rester conscient.
-
C’est pas la peine de lutter, c’est un
sédatif de cheval ! » Fit Ozsan avec un
petit ricanement.
Il attira Sarah à lui et la pressa contre son
torse.
-
Normalement
c’était toi qui aurait du le prendre, histoire d’être sûr que tu te montre
docile mais tu vas être bien gentille, n’est-ce pas ?
Sarah lutta de toutes ses forces pour se
défaire de son emprise mais c’était peine perdue. Ozsan
était trop fort.
-
Salopard !
Lâchez-moi ! Le service de sécurité va vous tomber dessus ! »
Cria-t-elle alors, espérant ainsi alerter les gardes.
-
Ah
ouais et il est où ce fameux service ? Je vois personne moi ! »
Ricana une fois encore son agresseur.
Il serra la jeune femme un peu plus contre lui
et pressa une main contre l’un de ses seins.
-
Hum…
toujours aussi attirante… Peut-être qu’on aura le temps de s’amuser un peu
avant qu’ils ne s’occupent de toi… »
Sarah devint blême en entendant ses paroles.
La menace était claire et elle regretta amèrement ne pas avoir averti sa mère
sur les intentions de cet homme. Mais il avait également parlé d’autres
personnes… Qu’est-ce qu’on lui voulait ?
-
Lâchez-la
tout de suite.
Ozsan se retourna d’un
bond, Sarah toujours fermement maintenue contre lui. La jeune femme eut un
soupir de soulagement en reconnaissant le chef de la sécurité qui avait son
arme braquée sur eux.
-
Tiens,
on dirait que j’ai parlé trop vite… » Nota Ozsan
avec amusement.
L’homme qui leur faisait face ne sembla pas
apprécier
-
Lâche-la
connard et met les mains en l’air. » Ordonna-t-il de nouveau, cette fois
avec une pointe d’impatience. Puis, appuyant sur son oreillette, il s’adressa à
son équipe : « On a un code 9 dans le
jardin, rejoignez-moi le plus vite possible. »
Sarah recommença à se débattre mais son attaquant
ne sembla pas le moins du monde impressionné.
-
Faudra
d’abord que tu te débarrasse d’elle, avant de vouloir me donner des ordres. »
Dit-il avec assurance.
L’agent fronça les sourcils avant de comprendre,
trop tard, qu’un nouvel individu se trouvait juste derrière lui.
Merde ! Songea-t-il avec
alarme, alors qu’il plongeait rapidement vers le sol. Comment j’ai fait pour le louper !
Il avait un sens de l’observation terriblement
efficace d’ordinaire mais là il semblait presque que son agresseur s’était
littéralement fondu dans le décor. Il effectua une roulade parfaitement
maitrisée avant de se relever et de pointer son arme sur le nouveau venu. Il
n’eut cependant pas le temps de tirer. Déjà la silhouette élancée s’était jeté
sur lui et tous deux roulèrent sur l’herbe fraiche.
-
Du
calme, mon mignon… On ne joue pas dans la même catégorie.
L’agent réalisa alors que son agresseur était
une femme, pourtant la force avec laquelle elle venait de lui assener un coup
de poing magistrale valait les meilleurs boxeurs qu’il lui avait été donné
d’affronter !
Ses mains saisirent sa chevelure abondante et
il la fit basculer sur le côté. A présent au dessus d’elle, ses mouvements
étaient facilités mais c’était sans compter sur la rapidité de
-
Pas
mal pour un mortel…. A moins que tu ne sois plus que ça !
Ses paroles n’avaient aucun sens pour le jeune
homme mais il était bien trop accaparé par son combat pour y prêter une
quelconque attention. A tâtons, il chercha son arme, qu’il avait lâchée, mais
ses doigts se refermèrent finalement sur une pierre. Il saisit la roche et
frappa de toutes ses forces le visage de
-
D’accord
fini de jouer, beau gosse ! » Fit la femme en se relevant.
Son front était en sang mais elle ne semblait
pas souffrir outre mesure de sa blessure. Par contre, elle était maintenant furieuse.
-
J’avais pas envie de faire trop de dégâts mais
là tu me gonfles. En plus c’est clair que tu n’es pas un simple humain…
Encore cette histoire, pensa l’agent en se
relevant avec difficulté. Il ne comprenait rien aux paroles de cette femme mais
il était désormais clair qu’elle avait une force colossale. Comment avait-elle
pu l’envoyer voler à cette distance ? Aucun être humain n’aurait été
capable d’un tel exploit, il en était certain.
Il contempla la femme avec méfiance et la
reconnut comme l’une des invités de
-
Cette
fois je vais pas te louper ! » Finit-elle en
se mettant en garde.
Elle n’eut cependant pas le temps de mettre sa
menace à exécution. Au même instant la porte du petit salon s’ouvrit avec
fracas et cinq agents de sécurité déboulèrent, arme au poing.
-
Mains
en l’air ! » Cria l’un d’entre eux, un grand balaise au crâne
dégarni.
La femme eut un sourire avant de se précipiter
vers eux. Ozsan tira alors Sarah vers une autre allée
mais le garde se jeta sur lui.
-
Arrête-toi !
Le spectre lâcha sa victime à contrecœur qui
tomba à ses pieds. Elle se précipita alors vers Constantin qui était parvenu
avec peine à se redresser à quatre pattes.
-
Est-ce
que ça va ? » Demanda-t-elle avec alarme.
Elle l’aida à se relever mais le jeune homme
était beaucoup trop faible. Ses bras et ses jambes se mirent à trembler de
façon saccadée et il menaçait de s’écrouler au sol à tout moment.
-
Il
faut qu’on parte ! » Murmura Sarah avec urgence mais l’océanographe
était à bout de forces.
Tu es faible… Beaucoup
trop faible. Un misérable mortel… Laisse-moi revenir…
Les mots résonnaient dans la tête du jeune
homme depuis le début de l’assaut. C’était grâce à eux qu’il ne s’était
toujours pas endormi, comme si celui qui en était l’origine lui permettait de
lutter contre le sédatif. Pourtant son esprit s’embuait de plus en plus et il
ressentait crescendo cette présence étrangère qui tentait désespérément de
s’imposer…
Derrière eux, le combat faisait rage. Celia
maitrisait sans peine ses cinq assaillants, dont trois d’entre eux étaient déjà
hors de combat. Mais la lutte était loin d’être discrète, surtout depuis
l’arrivée des renforts, et il ne restait que peu de temps avant que toute
l’assemblée d’invités, et leur hôte, ne viennent voir ce qu’il se passe. Il
fallait embarquer la fille et vite. Elle frappa l’un des agents en pleine gorge
et l’homme s’écroula à ses pieds avec un râle agonisant.
Plus loin, Ozsan
luttait toujours contre le chef de la sécurité et le spectre était sincèrement
impressionné par le talent de son rival. Celia avait raison, ce n’était pas un
simple humain. Ses capacités physiques allaient bien au-delà alors il n’avait
aucune raison de retenir ses coups. Le gars lui assena une droite violente
qu’il para mais rétorqua aussitôt avec un direct du gauche qui le frappa en
plein dans l’estomac. Le coup était inattendu et la douleur cuisante. Ozsan eut un cri étouffé et ressentit aussitôt une rage
soudaine le prendre aux tripes.
-
Ca,
tu vas le regretter… » Murmura-t-il entre des dents serrées.
Il le frappa plusieurs fois dans le ventre
avec une vitesse inouïe et lorsque son adversaire se plia sous la douleur, il
attrapa son épaule et la déboita d’un mouvement sec. Le cri de douleur ne se
fit pas attendre et Ozsan eut un large sourire de
satisfaction.
-
Ravi
que ça te plaise…
Alors que son rival était à deux doigts de
s’effondrer, il l’attrapa à nouveau et le projeta le plus loin possible. Il
atterrit non loin de Sarah qui eut un cri de terreur en voyant l’état dans
lequel se trouvait son sauveur.
-
Sauvez-vous… »
Chuchota-t-il avec empressement. « Je vais le retenir autant que je peux
mais fuyez… »
Sarah regarda Constantin avec détresse.
-
C’est
vous qu’ils veulent… » Continua alors l’agent en redressant avec peine.
La jeune femme acquiesça en silence et se
releva à son tour. Ses jambes tremblaient mais elle savait qu’elle devait faire
vite.
-
Désolée
Constantin… » Murmura-t-elle avant de détaler aussi vite qu’elle le
pouvait.
Ozsan eut un cri d’alarme
mais avant qu’il ne puisse se lancer à sa poursuite, le garde s’était à nouveau
jeté sur lui.
-
On
n’a pas le temps ! » Hura Celia qui venait de mettre K.O. l’ensemble
de ses assaillants. « On les emmène ! »
Ozsan savait qu’il ne
valait mieux pas discuter les ordres de sa supérieure. Attrapant le garde, il
lui assena un coup violent à l’arrière de
Myriam Kavafis
Myriam rangea rapidement leurs deux tasses
dans le petit évier qui se trouvait dans un coin de la pièce et ne prit pas le
temps de faire
-
La
pause est finie, » déclara-t-elle en adressant un clin d’œil à
l’adolescente. « On doit aller voir monsieur Galifanakis
et lui dire… ce que tu m’as raconté… »
La serveuse semblait encore incertaine quant à
la véracité des propos de Mary, pourtant elle attrapa la jeune fille par la
main et la tira vers une autre porte.
-
C’est
plus court par là, viens.
Elles se retrouvèrent dans un long couloir que
Mary ne connaissait pas. Leurs pas résonnèrent sur le parquet impeccablement
ciré alors que Myriam continuait à la tirer vers l’autre bout. Le visage de la
femme était fermé et elle semblait inquiète.
-
On
y est presque… » Dit-elle finalement lorsqu’elles eurent atteint
l’extrémité du corridor.
Myriam ouvrit la porte et elles se
retrouvèrent dans un petit salon coquet. Pourtant, plutôt que de rejoindre la
salle de réception où devait très certainement se trouver leur employeur, elle
ouvrit la baie vitrée qui donnait sur le jardin.
-
Viens.
Sans lui lâcher la main, elle l’entraina à
l’extérieur. Il n’y avait personne mais Myriam ne fit aucun commentaire. Elle
avançait d’un pas de plus en plus décidé dans les petites allées bordées de
haies boisées. Mary la suivait tant bien que mal, mais la fatigue de la soirée
commençait à se faire sentir. Son pas ralentissait malgré l’empressement de sa
supérieure et elle sentait de plus en plus faible. Elle trébucha et Myriam la
rattrapa aussitôt.
-
Allez,
continue ! » Urgea-t-elle d’un ton impérieux.
Elle la saisit sous l’aisselle et la força à
accélérer.
-
Constantin !
La voix était lointaine mais Mary crut
reconnaitre le timbre de Sarah Morgan. Celle-là même qu’on lui avait demandé d’empoisonner.
Mais il était de plus en plus difficile pour elle de réfléchir et même de se
concentrer sur la seule tâche qui lui était autorisée : marcher. Encore et
encore. Ses pieds se mélangeaient et elle pouvait à peine tenir debout à
présent. Machinalement, elle constata qu’elles ne se trouvaient plus sur un
chemin de graviers mais sur une route bitumée et qu’une camionnette se trouvait
devant elles.
-
La
voilà, mais… Qu’est-ce que vous voulez en faire ?
Quelqu’un la saisit par derrière, et sans ce
support supplémentaire
-
Ca
ne vous regarde pas… Disons juste que nous avons quelques questions à lui
poser…
Il s’agissait d’une voix masculine, ferme et
autoritaire mais également dotée d’un accent qu’elle ne pouvait pas définir. On
la souleva de terre. Sa tête tomba mollement sur l’épaule de l’homme qui la
tenait et elle entendit une portière s’ouvrir.
-
Vous
n’allez pas lui faire de mal ?
Myriam, encore mais sa voix était terriblement
lointaine à présent.
-
Qu’est-ce
que ça peut te faire ? Prends ton fric et barre-toi.
Mary n’eut pas le temps d’en entendre
davantage, on la souleva un peu plus et elle se rendit compte qu’on voulait
l’enfermer dans
Mary Connor
Lorsqu'elle avait compris la traîtrise de son
aînée, la première pensée de l'adolescente avait été de se reprocher sa
naïveté. Ne jamais faire confiance à un adulte. Mais elle s'était sentie
tellement impuissante à ce moment là... Puis, soudain, elle se rendit compte du
danger qu'elle courrait. Si cet homme réussissait à l'emmener...
Personne ne savait qu'elle était à cette réception. Personne qui s'en soucie
assez pour la rechercher, en tout cas. Si on l'emmenait, cet homme ferait
d'elle ce qu'il voudrait et personne ne se s'inquièterait de son sort. Certainement
pas Myriam ou cette Sarah !
Elle se débattit brusquement, parvenant à
échapper en partie à la prise de son ravisseur. Une montée d'adrénaline brutale
qui lui fit voir des étoiles tandis qu'elle se battait bec et ongles pour se
libérer. Cela ne durerait pas alors elle avait intérêt à se sortir de ce pétrin
avant que la drogue ne referme à nouveau son emprise sur elle. Un minuscule instant,
elle considéra l'ironie de sa situation. Elle qui avait cherché à protéger une
inconnue d'une 'mauvaise blague' se retrouvait droguée à sa place !
Et qui voudrait aider une fugueuse comme elle
?
Les larmes aux yeux, crachant et mordant comme
une petite chatte en colère, elle cria néanmoins comme si sa vie en dépendait.
Ce qui était certainement le cas !
-
Non
! Laissez-moi ! Au secours ! Lâchez-moi !
Aidez-moi ! Quelqu'un ! S'il-vous-Plaît !
Myriam Kavafis, le
spectre
Malgré toute l’énergie qu’elle tentât de
déployer les paroles de la jeune fille ne furent que murmure. Son agresseur
resserra aussitôt son étreinte et lui plaça, pour bonne mesure, une main sur la
bouche.
-
Hé,
tu vas la fermer oui ? Et puis qui voudrait sauver une petite paumée de
ton genre ? Ce serait plutôt le contraire, en fait… » Ajouta-t-il en adressant
un regard de biais à Myriam.
La serveuse baissa
-
Qu’est-ce
tu fous encore là d’ailleurs ? Retourne faire ton boulot avant qu’on ne se
rende compte de ton absence. Je pense que tu as été grassement payée, alors ne
va pas faire capoter notre affaire…
Myriam ne se le fit pas dire deux fois. Elle
détala aussi rapidement que possible, laissant
La population locale était bien sagement
cloitrée à domicile, quant aux invités de la réception, l’ambiance de la villa
et la présence des musiciens couvrait aisément les sons qu’ils émettaient.
Mary luttait toujours contre l’inconscience
mais quelque soit le produit qu’ils avaient utilisé pour la droguer, il ne
faisait aucun doute qu’elle ne tiendrait plus très longtemps. Déjà ses membres
ne répondaient plus et sa vision commençait à se voiler. Elle aperçu à travers
l’épais brouillard qu’était devenu son champ de vision, l’intérieur de la
camionnette : un coffre spacieux muni de chaines fixées au sol. Son sort
était fixé.
Son agresseur la jeta subitement à l’intérieur
et elle retomba mollement sur le plancher froid. Il lui était désormais
impossible de faire le moindre mouvement et, malgré la peur qu’elle ressentait, sa respiration comme son pouls ralentissaient de
plus en plus. Il ne faudrait pas bien longtemps avant qu’elle ne s’endorme complètement.
-
Et
alors ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Entendit-elle de façon
lointaine.
Une autre voix masculine répondit,
-
Un
agent de sécurité qui nous a prit la tête, mais il en a eu pour son compte.
Mary senti la camionnette tanguer et quelque
chose tomba à côté d’elle avec un bruit sourd.
-
C’est
lui ?
-
Ouais,
on pense que c’est l’un d’eux. Un chevalier… En tout cas il est trop fort pour
un simple humain.
On la saisit par les épaules et on la tira
plus profondément dans le coffre. Mary était totalement aveugle à présent, mais
elle sentit vaguement son ravisseur lui saisir les poignets pour les menotter.
-
Et
la fille ?
-
Un
contretemps… De toute façon nous n’étions pas sûrs que c’était bien elle. Elle
n’a montré aucune capacité hors norme, ce qui parait étonnant pour une déesse.
Cette fois c’était une femme qui avait parlé
et malgré la torpeur qui l’assaillait de plus en plus, Mary n’eut aucun mal à
reconnaitre cette voix.
-
Par
contre elle a prit la fuite, alors on va essayer de la récupérer au passage
avant qu’elle ne fonce chez les flics.
Il y eut un nouveau choc.
-
Et
celui-là ?
-
Un
imbécile qui se trouvait avec elle et qui a eut la bonne idée de boire le
sédatif à sa place… On a préféré ne laisser aucune trace et l’emmener avec
nous.
On remua autour d’elle et elle entendit la
portière claquer. Bientôt le moteur vrombit et ils se mirent en route…
Constantin Nielopoulos
Ressentant les choses plus qu’il ne les
voyait, Constantin sentit qu’on le transportait puis qu’ensuite on le déposait
sur un sol métallique. Sa vue se brouillait de plus en plus mais il entendit
plus ou moins clairement qu’on parlait autour de lui, puis qu’on parlait de
lui, même s’il le comprit derrière une bonne épaisseur de brume. Il perçut
rapidement qu’il se trouvait dans un véhicule et, fronçant ses yeux, il réussit
à voir qu’il y avait quelqu’un avec lui, dont la silhouette mince indiquait une
très jeune fille. Il tenta de bouger, n’y parvint pas et le sédatif finit par
gagner, le faisant sombrer dans l’inconscience…
Mary Connor
A bout de forces, Mary finit par céder aux
assauts de
Elle se revit, un an auparavant, tout aussi
terrifiée et impuissante, cachée sous une étagère. Elle sentit le goût des
larmes et du sang qui se mêlaient dans sa bouche. Son coeur
battait si vite.
Elle se revit, petite fille de six ans. Là
aussi, elle pleurait, blottie dans des bras aimants. Elle avait mal au genou et
était en colère. Contre ce méchant vélo qui ne voulait pas rouler
convenablement et contre elle aussi...
Des fragments de vie passèrent ainsi,
vaguement déformés par un voile onirique. Ils défilèrent d'abord lentement,
puis de plus en plus vite, désordonnés et erratiques. Puis, elle se sentit
aspirée plus profondément avant de tomber. Il y avait
pas de murs autour d'elle, pas de lumières non plus. Elle devina qu'elle
chutait dans un puits. Un puits qui n'avait pas de fond.
Brutalement, elle changea de décor. Elle se
trouvait face à un mur dans une pièce dévastée. Elle était puissante. Personne
ne pouvait rivaliser avec elle et, un temps, elle s'en était réjouie et en
avait tiré une arrogance incroyable. Mais, à présent, peut-être pour la
première fois, elle se trouvait face à un obstacle qu'elle ne pouvait abattre.
C'était une situation dérangeante.
Pour la deuxième fois de sa jeune vie, elle
ressentait de l'impuissance. Et elle n'aimait pas ça.
Athènes, Grèce –
1er juillet 2034 – 23h45
Anchali Siripan
L’aéroport était situé en dehors de la ville
et le trajet pour regagner l’hôtel Astoria comprenait la visite gratuite d’un
nombre impressionnant de petites banlieues qui n’avaient pas toujours l’air
très net. D’ailleurs, même à présent que le panneau estampillé
« Athènes » était en vue, le
quartier dans lequel elle se trouvait était à dix mille lieues du coin huppé
dans lequel était situé le palace de son amie.
S’arrêtant à un feu rouge, elle aperçu même un
petit groupe cagoulé qui s’entretenait sur le trottoir d’en face. Des mains se
touchèrent, ils hochèrent de la tête et se séparèrent aussitôt. La nature de
leur échange, ou plutôt de leur petit business, ne faisait en fait aucun
doute et Anchali sentit qu’il ne ferait sans doute pas bon de
s’attarder plus que nécessaire dans cet endroit.
Le feu repassa au vert. Elle referma la
fenêtre du véhicule afin de ne pas tenter un quelconque voleur, et appuya sur
la pédale de l’accélérateur. Le moteur vrombit un court instant avant de caler.
Un peu plus loin, un autre groupe de jeunes athéniens la regardait avec
curiosité. Elle remit le contact mais le moteur refusa d’obtempérer. La
patience n’avait jamais été le fort de la jeune femme mais elle n’était pas non
plus du genre à obtempérer facilement, surtout lorsqu’il que c’était une
carcasse de ferraille qui lui tenait tête. Pourtant il n’y avait rien à faire.
Carcasse ou pas, la Renault refusait bel et bien de coopérer. Finalement les petits jeunes étaient partis.
C’était toujours ça, mais compte tenu du style du quartier, Anchali
sentait qu’elle devait trouver une solution dans les plus brefs délais.
Aucune cabine téléphonique n’était à proximité
mais une enseigne lumineuse lui indiquait la présence d’un bar quelques mètres
plus loin…
________________________________
Enfer et damnation. Anchali
s'évertuait sans discontinuer depuis quelques minutes sur le démarreur de la
voiture, ne réussissant qu'à lui arracher de temps à autre un râle grinçant
d'agonie. Cependant rien n'y faisait et elle devait bien se rendre à
l'évidence, le satané véhicule était bel et bien en panne.
Comme si elle avait présentement besoin de ça.
L'incident, lui soufflait son instinct défaitiste, ne semblait être que le
premier d'une longue lignée, l'arbre cachant la forêt d'ennuis notoires qui
étaient sur le point de déferler sur leurs personnes.
Anchali, dépitée, croisa les
poignets sur le volant et laissa son front venir doucement heurter ce dernier
avec un long soupir. Si seulement cette fichue machine n'avait pas rendu son
dernier soupir en plein milieu du coin le plus mal famé de la ville, cela aurait
pu n'être qu'une éphémère péripétie, mais non, il fallait qu'elle atterrisse
dans une zone de non droit, à la population autant étrange que dangereuse...
Et en plus, son portable ne passait pas,
réalisa-t-elle en réprimant un gémissement de désespoir. Tant pis, elle
n'allait guère avoir le choix. Il fallait qu'elle trouve un téléphone dans les
plus brefs délais, et ce, avant de se faire racketter par le premier voyou
venu. Elle sorti de la voiture, prenant soin de la fermer à clé et se dirigea
vers l'enseigne qui avait attiré son attention un peu plus tôt. Avec un peu de
chance, elle y trouverait de quoi joindre Noora, et
l'enjoindrait fougueusement de venir la chercher en toute urgence.
Ses talons hauts claquaient régulièrement sur
le sol chaud de la rue, l’absence de brise plaquant le tissu bleu ciel de sa
robe contre ses cuisses au rythme de ses pas. Un peu nerveuse, elle stationna
une fraction de seconde devant le débit de boisson, hésitant sur la tenue à
conduire. Après tout, ce n'était sans doute pas recommandé de pénétrer dans un
tel établissement dans ce genre de quartier, vêtue de la dernière petite robe à
Maudissant une énième fois sa malchance, elle
tapota instinctivement le relevé de sa coiffure et inspira profondément avant
d'entrer dans ce qu'elle nommait, faute de mieux, le coupe gorge.
Au moment même où elle franchissait le seuil,
une odeur âcre de tabac et de sueur lui sauta au nez, figeant son visage en un
masque de dégoût. Tâchant tant bien que mal d'ignorer l'ignoble fumet, elle
s'avança à travers la lumière blafarde jusqu'au bar, affichant un mépris royal
face aux regards qui commençaient à s'égarer sur elle. Dans ce genre de
situation, il ne valait mieux pas offrir la moindre prise, la moindre petite
occasion aux énergumènes imbibés d'alcool qui trônaient dans la salle, sans
quoi la situation dégénèrerait rapidement.
Réfrénant l'envie de fuir à toute jambe qui la
tenaillait depuis son entrée, elle se pencha par-dessus le plateau de bois, une
mèche bouclée frôlant le meuble, et interpella le barman en grec.
-
Excusez-moi.
Je suis en panne, vous auriez un téléphone ?
________________________________
Le barman la toisa des pieds à la tête d’un
œil morne. Visiblement, ce n’était pas tous les jours qu’une jeune femme aussi
richement vêtue et surtout aussi mignonne débarquait dans son établissement. Un
simple coup d’œil aux autres clients indiqua à Anchali
que ce n’était d’ailleurs pas tous les jours qu’une femme tout court entrait
ici, à moins bien sûr que l’on ne prenne en compte la sombre figure qui lavait
des verres derrière le comptoir. Avec ses cheveux sales qui lui retombaient
dans les yeux et une peau qui était si abimée qu’elle en semblait presque
vérolée, l’identité sexuelle de cette personne échappait totalement à la jeune
femme.
-
Mouais,
ça se pourrait bien… » Confirma finalement le barman d’une voix rauque et
à peine compréhensible du fait qu’il mâchouillait un mégot presqu’éteint.
Une fois encore il observa Anchali,
pour ne pas dire qu’il se rinça l’œil. L’androgyne aux verres lui flanqua alors
un coup de torchon sur les épaules. Le tissu claqua et le bonhomme manqua de
faire tomber son bout de cigarette dans son verre à Whiskey.
-
Hé
ça va pas m’man ! » Rouspéta-t-il alors que l’autre se rapprochait d’Anchali.
-
La
p’tite dame a demandé un téléphone, elle est pas là
pour te servir de rince-l’œil. » Grogna celle qui,
tout compte fait, était bien une femme.
Elle poussa l’homme d’un coup d’épaule et vint
se planter devant la pauvre conductrice.
-
Y’en
a un juste derrière, à côté des toilettes si tu veux… Mais un conseil, restes
pas trop dans le coin. C’est pas un endroit pour les
petites minettes de ton genre, si tu vois ce que je veux dire…
Et sur ces bonnes paroles, elle décocha un
gigantesque sourire édentée à la guerrière qui, afin d’éviter les effluves
nauséabondes qui s’échappaient de la bouche infernale de la dame, se dépêcha
d’obtempérer.
Le téléphone, un vieux gadget qui semblait
dater des années 2000, était suspendu sur un mur sale et décrépit dont la
couleur jaunâtre ne pouvait décidément pas inspirer confiance. Au moins le coup
de fil était gratuit et très vite Noora lui enverrait
une voiture pour qu’elle décampe d’ici. Son amie répondit presqu’aussitôt. Par
chance le métier de gérante d’hôtel l’obligeait à se coucher tard et Anchali ne la réveilla pas malgré l’heure tardive. Elle lui
expliqua brièvement sa situation et en moins de deux minutes, les deux
guerrières avaient convenu d’un arrangement. Bientôt Anchali
gouterait au confort du palace cinq étoiles et la vision d’horreur de ce taudis
ne serait qu’un lointain souvenir…
Elle s’installa à l’écart, nettoyant
consciencieusement la table d’aspect douteux avec un mouchoir en papier. La
dame aux verres lui apporta un café qu’elle hésitait à boire et la laissa
tranquille. L’établissement n’était pas à proprement dit bondé, mais il y avait néanmoins un
certain nombre de clients et aucun d’entre eux n’avait une tête de bon
samaritain. D’ailleurs il était fort à parier qu’une bonne moitié était
recherchée par la police ou avait déjà fait de la prison.
Son regard dévia vers l’autre bout de la
salle, dont la configuration était la même que le coin qu’elle s’était
approprié. Un homme s’était installé, seul, et semblait lire un texte
quelconque sur un I-Pad dernier cri. Tout d’abord Anchali
se demanda pourquoi l’individu l’interpellait de cette manière, avant de réaliser
qu’il n’avait pas du l’aspect d’un homme qui pouvait lire un rapport à la
manière d’un homme d’affaires. Ses longs cheveux étaient lâchés en une ample
crinière brune et il portait un trench-coat en cuir noir, un pantalon rayé
ainsi que des docks martins à moitié délassées. En bref, il avait il avait plus
le look d’un voyou gothique que d’un business man.
Mais ce n’était pas l’unique raison de sa
défiance. Quelque chose chez cet homme alarmait la guerrière sans qu’elle ne
puisse en deviner
Elle
n’eut pas le temps de réfléchir davantage à sa sombre découverte. L’homme reçu
apparemment un message et se leva précipitamment. Il prit juste le temps de
jeter quelques pièces sur la table avant de longer le mur pour gagner la porte
de derrière.
________________________________
La jeune femme étrécit les yeux en une mince
feinte dorée. Elle ne se trompait guère, tout à l'heure, en percevant que son
incident de voiture n'était que le premier d'une longue liste, et voici que
surgissait d'on ne savait où, un spectre. Pour un peu, elle se serait cru maudite.
Cependant, en y réfléchissant bien, cela
tenait plus de l'opportunité que du malheur. Il serait stupide de sa part de
laisser passer l'occasion d'en savoir un peu plus en restant planté dans ce
café miteux à attendre gentiment Noora. Non
finalement, la chance qui lui était offerte ne méritait pas qu'on la laisse
passer.
Et, en toute sincérité, ce n'était guère dans
son tempérament de laisser filer ainsi un serviteur d'Hadès, non sans lui avoir
soustrait au préalable quelques informations...
Anchali se leva de la table
dégoûtante, sans un regard pour la tasse de café qui refroidissait à présent,
et suivit sa proie vers la sortie arrière. Un léger regard par-dessus l'épaule
l'assura qu'elle n'était pas prise en chasse avant qu'elle ne pousse la porte à
son tour et sorte de l'établissement.
La porte se referma lentement, tandis que sa
vision s'accoutumait à l'obscurité relative de la ruelle dans laquelle elle
venait de déboucher. Si elle avait trouvé le bar peu ragoûtant quelques
instants plutôt, sa cour était carrément infecte. Des détritus divers et
variés, que la jeune femme ne préférait pas examiner de trop près, jonchaient
le sol sale, et des poubelles débordantes trônaient ça et là. De plus, la
luminosité terne ainsi que le grésillement d'un néon en panne conféraient à
l'endroit une aura malsaine et passablement inquiétante.
Quoiqu'il en était, elle était certaine
d'avoir déjà vu pire, aussi emboîta-t-elle le pas au spectre en usant de mille
précautions, curieuse de voir où il la mènerait...
________________________________
La lourde porte métallique émit un léger
grincement lorsqu’elle la poussa, mais le son ne sembla pas déranger le spectre
qui se tenait à seulement quelques pas, tapotant furieusement sur son I-Pad. Le
dos tourné, il semblait bien trop concentré sur son message pour remarquer sa
présence.
Une aubaine pour la jeune femme, d’autant que
la petite ruelle était apparemment déserte et peu éclairée. Les immeubles qui
la jouxtaient possédaient seulement quelques rares fenêtres et surtout
semblaient abandonnés. En cas de combat, et il y en aurait certainement un, ils
jouiraient ainsi d’un maximum de discrétion.
L’homme cessa de s’escrimer sur son minuscule
clavier et se tourna vers elle.
-
Qu’est-ce
que vous faites là ? » Questionna-t-il de but en blanc.
Son
regard se durcit soudain et il l’étudia davantage, percevant finalement son
cosmos.
-
Qui
êtes-vous ? » Demanda-t-il et dans sa voix transparaissait désormais une
once d’inquiétude.
Oui, il avait bien remarqué que la jeune femme
n’était pas une simple cliente égarée mais bien une ennemie. Ennemie d’ailleurs
suffisamment puissante pour qu’il parvienne à ressentir son aura avant même
qu’elle n’utilise une technique de combat.
-
Aëldira de Maëlchor,
du moins, si je ne m’abuse.
La voix grave avait retenti dans son dos et la
guerrière se retourna d’un bond alors que le spectre se redressait avec
respect.
-
Monseigneur…
Le nouveau venu ne sembla pas l’entendre. D’un
pas assuré, il s’avança vers la jeune femme qu’il toisa de toute son envergure. Ses cheveux bruns
étaient coupés courts, un changement notable par rapport à sa véritable forme
physique. Pourtant ses yeux d’acier avaient gardé toute leur intensité mordante
et, si la jeune femme avait encore des doutes sur son identité, la tessiture du
cosmos qu’il cessa enfin de réprimer les anéantit totalement.
-
Ah
oui, c’est bien elle », fit-il en haussant un sourcil altier. « Pas
de doute, je reconnais bien cette aura arrogante et pourtant si faible… »
Un petit sourire amusé se dessina un court
instant sur ses lèvres fines alors qu’il l’étudiait des pieds à la tête.
-
Faut
vraiment être stupide pour toujours choisir des réincarnations aussi peu gâtées
par la nature… Bon c’est vrai que je ne peux nier un certain charme et des
formes généreuses…
Le sourcil se leva un peu plus encore sur son
front et son sourire prit soudain un pli mauvais.
-
Mais
pour le combat, c’est quand même pas ce qu’on a fait
de mieux. Et après, elle s’étonne de crever à chaque fois…
Il passa devant elle et alla se porter à la
hauteur de l’autre spectre dont il attrapa la tablette numérique.
-
Les
documents sont là ? » Demanda-t-il sans plus sembler se soucier de la
présence d’Anchali.
- Oui monseigneur », se hâta de répondre
le spectre qui, lui, n’avait pas oublié la guerrière.
Son regard égaré passait sans cesse d’un
personnage à l’autre, alors qu’il tâchait de comprendre quelle étrange relation
les unissait.
-
Bien…
Thanathos rangea l’appareil
dans la poche de la veste de cuir qu’il portait et se tourna lentement vers Anchali.
-
Comme
tu peux le voir, je suis assez occupé. C’est d’ailleurs bien ennuyeux que tu te
sois trouvée ici, un endroit si mal famé pour une petite bourgeoise de ton
espèce…
Il eut un sourire cynique à sa propre
plaisanterie.
-
Mais
puisque j’ai à faire, finissons-en de suite… Ravi de t’avoir revue, Aëldira. Aussi bref ce-fut-il…
Le demi-dieu laissa exploser son cosmos.
D’immenses volutes argentées se déployèrent autour de son corps et l’air se
chargea d’électricité. Derrière Anchali, le spectre
eut un hoquet de stupeur et recula de plusieurs mètres. Une conduite
parfaitement censée en soi, car même s’il n’avait jamais vu Thanathos
attaquer, il avait néanmoins une idée de l’étendue de ses pouvoirs.
Une partie de l’énergie électrostatique se
concentra soudain sous la forme d’une boule immense, niché au creux de la main
du demi-dieu. Le sourire de ce dernier s’affirma un peu plus.
-
Adieu… »
dit-il en lançant la sphère apocalyptique sur elle.
Anchali Siripan
Dire que la jeune femme avait été surprise par
l'apparition impromptue de la déité aurait été bien en deçà de
Oh bien sûr, elle s'était vaguement douté
qu'un moment ou l'autre, elle finirait par croiser à nouveau la route de
Thanatos, mais en toute franchise, elle ne pensait pas alors que se serait si
tôt. Son cerveau fonctionnait à plein régime tandis que l'aura du Dieu se
révélait dans sa terrible splendeur. L'incident risquait d'avoir de notables
conséquences, principalement eu égard à son intégrité corporelle. Certes, elle
avait déjà eu à l'affronter, mais dans des circonstances totalement
différentes, et surtout dans un état bien plus adapté.
L'évidence de sa calamité en devenait risible.
Sa préparation au combat était proprement inexistante face à un tel adversaire
et la légèreté dont elle avait fait preuve ces dernières années lui revenait
comme un boomerang. Le prix à payer pour sortir vivante de cette situation
serait sans doute élevé et seule la fuite lui paraissait être l'unique solution
viable pour sauver sa peau.
Bien entendu, son égo en prendrait un coup,
car jamais auparavant elle n'avait, ne serait-ce que songer à se défiler face à
combat. Cependant, à temps exceptionnels, mesures exceptionnelles...
L'attaque survint bien plus rapidement qu'elle
ne l'avait escomptée. La sphère d'argent fondit sur elle sans qu'elle ne la
perçoive réellement, et, réagissant plus par instinct que par réelle
anticipation, elle plongea sur le côté.
Le souffle de la brûlure retentit en son corps
jusqu'au plus profond de ses entrailles. Ces réflexes, pourtant aiguisés, ne
lui avaient pas permis d'éviter totalement l'orbe électrique, qui avait au
final heurté son bras droit. A peine réalisait-t-elle qu'elle était touchée que
des chairs carbonisée s'écoulait un liquide poisseux teinté de sang. La douleur
lui coupa le souffle et Anchali fut obligée de mettre
un genoux à terre.
Ce fut uniquement par orgueil qu'elle se
redressa, les dents serrées, la mâchoire figée en un rictus souffreteux. De sa
main valide, elle appuya sur la partie du membre blessé et y injecta son
cosmos, les yeux à nouveau fixés sur Thanatos. L'éclat de ses yeux n'avait pas
changé, même si ce n'était désormais plus le même corps que son âme habitait.
Chaque mouvement, chaque attitude, chaque expression trahissait l'ancienne
prestance de la déité, réveillant l'acariâtre souvenir de leur haine
réciproque.
Quelque chose s'éveilla soudainement en elle.
Une sensation, une perception longtemps oubliée, une antique rivalité qui se
régalait du sang et de l'ichor vermeil qu'ils se faisaient chacun couler.
L'impression qu'autre chose était en jeu que le simple affrontement entre deux
factions rivales. C'était bien au-delà de ça, c'en était presque intime, comme
une rancœur personnelle qui les opposait depuis la nuit des temps. Un quelque
chose qui trouvait en leurs rencontres sanglantes le prétexte idéal pour
s'épanouir. L'intensité émotive ne dura guère, mais Anchali
ressentait qu'elle ne devait pas, qu'elle ne pouvait pas s'effacer devant lui
sans rien dire.
A présent debout, une fluide aura verte
s'étiola autours de sa blessure, elle s'appliqua à lui rendre le regard qu'il
avait porté sur sa personne quelques instants plus tôt.
-
Plaisir
amplement partagé, Thanatos. » Lâcha-t-elle d'une voix assourdit par la
douleur lancinante. « Tu m'excuseras cependant de ne pas partager ton avis
son ma soi-disant misérable condition physique. Personnellement, j'ai toujours
trouvé l'idée de te réduire au silence suffisamment délectable pour supporter
un décès prématuré. »
Un léger sourire incurva ses lèvres une
fraction de seconde. L'affront verbal lui coûterait cher, mais son maudit
orgueil ronronnait à présent d'une satisfaction malsaine, leurs diatribes
assassines lui avait visiblement manqué.
-
Je
m'en veux d'écourter nos si chaleureuses
retrouvailles, mais ce cloaque m'indispose. J'aurais d'ailleurs cru que ta
condition divine t'appelait à de plus hautes normes environnementales...
Elle recula d'un pas, saisissant la poignée de
la porte métallique d'une main sûre. Sur son autre bras subsistait à présent
une marque rougeâtre, là où auparavant la grave brûlure infligée par son
vis-à-vis avait entachée sa peau.
-
Terrassé
par un simple chevalier de bronze, rôdant dans des ruelles infâmes, c'est à se
demander si tu ne files pas un mauvais coton. Ne régresse pas trop tout de
même... Je m'en voudrais de survivre à notre prochaine rencontre. » Termina
la jeune femme, narquoise, prête à bondir à l'intérieur du café pour éviter le
courroux divin.
Hayden Travis
Le demi-dieu avait gardé les bras croisés
durant toute la tirade de la jeune femme. Un sourcil dressé avec curiosité, il
attendait patiemment qu’elle finisse son laïus, amusé comme toujours de
remarquer à quelle point elle s’échinait à faire la maligne alors qu’elle était
au plus mal.
A croire qu’elle avait des tendances
masochistes… ou bien peut-être était-elle simplement encore plus stupide qu’il ne
l’avait pensé.
Pourtant sa dernière remarque sur la défaite
cuisante qu’il avait subit lors de la dernière guerre sainte l’avait
profondément agacé. Son regard d’acier s’était incroyablement durcit lorsque la
petite peste avait asséné sa réplique cinglante. Il était également fort à
parier qu’elle avait remarqué la très légère grimace qu’il avait laissée
échapper pendant une fraction de seconde.
Voilà qu’il était maintenant victime d’une
micro-expression, pensa-t-il en notant l’air de victoire que la guerrière
n’avait, évidemment, pas manqué d’afficher avec splendeur. Lui qui était
de race divine ! Il semblait bien que cette nouvelle incarnation, et plus
particulièrement le temps qu’il avait été contraint de passer au sein cette
déchéance humaine, avait finit par affaiblir son caractère. Un aspect qu’il ne
manquerait pas de corriger dès qu’il aurait terminé cette mission de bas étage…
Il décroisa finalement les bras et eut un
soupir las.
-
Pour
ta gouverne, et même si je demande pourquoi je prend simplement la peine de te
répondre à sujet, sache que je suis ici pour affaires et que bien entendu le
choix du lieu n’est pas de mon fait… Néanmoins, il s’avère que cet endroit
s’avère fort utile et permet également une discrétion qu’il aurait été
difficile de retrouver ailleurs.
Jetant un bref regard en direction du spectre
avec lequel il avait rendez-vous, il remarqua que ce dernier se tenait en
retrait, visiblement soucieux de ne pas interférer dans sa discussion avec Aëldira. De toute façon, il n’avait plus besoin de lui
maintenant qu’il avait récupéré les documents.
-
Toi,
par contre… Je me demande ce que peu bien faire la petite minette embourgeoisée
que tu es devenue, dans ce « cloaque », comme tu dis…
Ses sourcils se froncèrent un court instant et
il haussa finalement les épaules.
-
En
fait non, je m’en fiche comme de
Il indiqua l’autre spectre du doigt, tout en
poursuivant :
-
Tu
aurais pu mourir bien sagement comme tu le fais si bien d’habitude mais non, tu
as voulu éviter l’attaque.
Son air ennuyé était un chouilla
exagéré.
-
Regarde-toi :
une simple boule d’énergie et tu sens déjà le roussi… Une chance que tes
capacités te permettent de régénérer cette carcasse humaine, parce que sinon tu
ne serais déjà plus très jolie à regarder.
Il eut un rire cynique.
-
Et
dire que tu voudrais me réduire à néant ? Non mais franchement,
regarde-toi !
Son sourire s’agrandit davantage alors qu’il
la toisait ostensiblement.
-
Tu
n’es qu’une parodie de guerrière ! Une sainte nitouche en jupette et
talons hauts. Et tu penses pouvoir participer à tout ça ???
Son ton était monté en même que son air amusé
s’affirmait. Si au départ il avait décidé d’en finir rapidement avec elle, il
trouvait désormais qu’elle n’en valait même pas la peine.
-
Et
tu comptes faire quoi ? Balancer des petites piques à tout va avant de te
mettre bien vite à l’abri ? Attention, je ne pense pas que tu auras
toujours un bar paumé à ta disposition, alors tu ferais mieux de prendre ta
retraite avant de vraiment te faire mal.
Il s’éloigna d’un pas, puis se tourna
lentement vers elle.
-
Tu
sais, je pensais te tuer maintenant, histoire de faire ça proprement mais
finalement je me rends compte que tu n’en vaux même pas le coup…
Thanatos leva le bras et aussitôt le membre
fut entouré d’un halo d’énergie pure.
-
Tâche
de réfléchir à ce que je viens de te dire s’il te reprenait l’envie de jouer à
la guéguerre avec les grands. Achètes-toi plutôt une PlayStation, ça vaudra
mieux…
Le faisceau scintillant fonça sur elle aussi
rapidement que son précédent coup et la jeune femme n’eut d’autre choix que de
plonger à l’intérieur du bar pour échapper à sa trajectoire. Elle atterrit avec
un roulé-boulé plus ou moins maitrisé sous les yeux consternés des clients, qui
se demandaient bien comment elle avait pu réussir pareille entrée.
Anchali Siripan/Noora Andries
Anchali se releva, les joues
en feu et la peau rouge. La honte et l'humiliation se conjuguaient à la frousse
en cet instant, et la jeune femme était bien loin de ressentir l'insolente
assurance qu'elle avait affiché quelques instants plutôt. Sans un regard pour
les témoins involontaires de sa pitoyable prestation, elle fila sans demander
son reste vers
La jeune femme sortit comme une fusée,
laissant claquer la porte du bar miteux derrière, son regard oscillant de
droite à gauche en quête d'une vision réconfortante. Tout du moins était-ce ce
dont elle essayait de se persuader.
La rencontre impromptue avec Thanatos l'avait
secouée bien plus qu'elle ne l'aurait imaginé de prime abord. A présent qu'elle
était seule et sauve (ou tout du moins l'espérait elle, la pensée fugace et sinistre que le
Dieu avait pu faire le tour du bar pour venir finir le travail ne cessait de la
hanter.), elle percevait quelle avait été sa chance isolante. C'était un miracle qu'il l'ait laissée partir
sans une égratignure. La déité n'avait pas mentit, elle devait avoir quelques
travaux bien plus important sur le feu que de finir un pathétique chevalier, qui
n'en avait que le nom, passablement engoncé dans sa petite vie tranquille.
Un frisson d'effroi
Perdue dans ses sombres pensées, elle ne
sentit pas plus qu'elle ne vit une jeune femme blonde s'approcher d'elle.
Anchali sursauta violemment
et manqua de hurler, tant ses nerfs étaient à fleur de peau. En écho à sa
frayeur, le large sourire de Noora se dessina.
-
Bonsoir
toi ! Dis donc, tu m'as l'air bien songeur !
Visiblement, la blonde était de fort bonne
humeur, ses yeux clairs pétillants de joie. Anchali
ne répondit pas tout de suite, préférant tempérer ses inquiétudes face à cette
source de réconfort.
Ce ne fut que quelques secondes plus tard
qu'elle peina à prononcer quelques mots.
-
Désolée.
Écoute, il faut qu'on s'en aille, maintenant...
En voyant le regard de la jeune grecque se
faire interrogateur, elle leva une main, souhaitant remettre à plus tard des
explications délicates.
-
Crois-moi,
ce n'est ni le lieu, ni le moment, je te parlerais à l'abri...
Noora avait peine à en
croire ses yeux et ses oreilles. Elle faillit tout de même insister, malgré les
mises en gardes matinées de requêtes énoncées par son amie. Ce fut en voyant la
lueur inquiète qui scintillait dangereusement dans ses yeux qu'elle finit par
céder, et guider la métisse vers sa voiture, parquée juste à côté de l'épave d'Anchali.
-
Tu
n'as qu'à t'installer, je vais charger ton sac. File-moi tes clés.
La brune s'exécuta de bonne grâce, patientant
une poignée de minutes avant que la gérante de l'Astoria ne revienne s'asseoir
à la place du conducteur. Elle mit le contact sans un mot et bientôt, la
voiture filait vers le centre d'Athènes. Noora jeta
un coup d'œil de biais vers son amie, et, à la lueur d'un lampadaire, aperçut
des traces de brûlures sur ses vêtements. La surprise manqua de lui faire faire
un écart.
Étouffant un juron, elle redressa le volant et
tâcha de maitriser un ton proche de l'hystérie en s'adressant à Anchali.
-
Tu
es tombée sur un os, pas vrai ? Hein c'est ça ? Un gros ? Allez avoue, qu'est
ce qui est arrivé à tes fringues ? Qui t'a fait ça ?
Un regard las lui répondit accompagné d'une
diatribe mauvaise.
-
Regarde
la route, veux-tu. J'ai assez eu d'aventures pour ce soir. J'ai besoin d'un
verre avant de te raconter la merde dans laquelle je me suis retrouvée.
Vexée et boudeuse, Noora
se tut et le reste de la route se fit en silence.
Sarah Morgan
Les deux jeunes femmes quittèrent rapidement
les bas fonds d’Athènes pour rejoindre les quartiers les plus selects de
Noora conduisait calmement
mais elle était pressée de rejoindre l’hôtel et surtout d’entendre les
confessions de sa compagne. Plus que
quelques minutes à patienter à présent… Elles avaient déjà atteint les villas
huppées qui se trouvaient à proximité du palace. Le bord de mer n’était pas
loin et les résidences de luxe s’étaient logiquement développées dans ce cadre à
la fois attractif et calme.
La petite route sur laquelle elles roulaient
était déserte du fait de l’heure tardive mais quelques maisons étaient néanmoins
encore allumées. C’était l’un des premiers week-ends de la saison estivale et beaucoup voulaient en profiter. Le
véhicule passa tranquillement un dos d’âne et Noora
accéléra légèrement pour reprendre sa vitesse initiale. Anchali
était appuyée contre la portière, plongée dans ses pensées et sans vraiment
regarder le paysage.
Pourtant elle sursauta en apercevant une ombre
furtive sur le bas-côté et alerta aussitôt la conductrice d’un cri. Le choc fut
évité de peu car la silhouette était déjà sur le véhicule. Les deux pieds sur
le frein, Noora arrêta miraculeusement la voiture
alors que l’inconnu posait ses deux mains sur le capot.
Le silence s’imposa de lui-même dans
l’habitacle alors que les deux jeunes femmes, encore sous le choc, tentaient de
reprendre leurs esprits. La lumière des phares dévoilait une jeune femme, vêtue
d’une robe de soirée était déchirée et dont l’expression effrayée indiquaient
clairement qu’elle était en fâcheuse position.
-
S’il
vous plait !
Elle s’approcha en titubant de la portière
côté passager et posa ses mains contre
-
S’il
vous plait, aidez-moi…
Le ton était plaintif et les deux jeunes
femmes réalisèrent qu’elle était en train de pleurer.
-
Je
suis en danger, s’il vous plait…
Anchali Siripan/Noora Andries
Les yeux écarquillés par la surprise, Anchali fixait sans dire mot le faciès larmoyant de
l'inconnue, une expression de d'intense stupéfaction peint sur le visage. A
côté d'elle, Noora, au bord de l'asphyxie, laissa
échapper un hoquet choqué.
Instinctivement, la métisse posa une de ses
mains sur celle de la jeune femme, effleura du bout des doigts la vitre froide,
comme pour dissiper l'éventualité d'un mirage. L'intense contraction qui soudait
son ventre en un tout pesant s'amplifia, et un rapide regard du côté de la
conductrice lui confirma qu'elle n'était pas la seule à appréhender sa
puissance.
A peine les iris bleus de Noora
se furent accrochées à son regard qu'elles bondirent hors de la voiture,
presque simultanément, Anchali apposant
presqu'aussitôt ses mains sur les épaules tremblantes de la jeune femme avec
une délicate retenue.
-
Nous
allons vous aider, n'ayez crainte... » Fit-elle d'une voix douce, tandis
que Noora s'empressait d'ouvrir la portière arrière
de son véhicule.
-
Je
me nomme Anchali, et voici Noora.
Nous nous rendons à l'hôtel Astoria et vous allez venir avec nous, d'accord
? » Continua-t-elle toujours aussi doucement, craignant d'effrayer la
demoiselle si elle la brusquait trop.
A présent qu'elle touchait sa peau, sa
perception de l'aura manquait de submerger ses autres sens. Une telle énergie
n'était pas monnaie courante, seuls quelques rares élus pouvaient prétendre en
détenir une. Et elle avait justement croisé l'un d'eux il y avait fort peu de
temps...
Pourtant, celle de la jeune femme n'avait rien
à voir avec celle de Thanatos, elle en était même l'antithèse incarnée. L'aura contenue
lui rappelait furieusement quelque chose, mais l'asiatique n'osait espérer en
cet instant que son vœu le plus cher se réalise. Cependant, la façon dont Noora avait elle aussi réagit ne confirmait-elle pas son
pressentiment ?
La Déesse.
D'une voix soudainement moins assurées, ses
jambes étrangement faibles alors que Noora s'approchait
avec déférence de la Femme pour la conduire jusqu'à la banquette arrière, elle
demanda :
-
Comment
vous appelez-vous ?
Sarah Morgan
Sarah se laissa conduire machinalement à
l’intérieur du véhicule, la course effrénée qu’elle avait faite pour échapper à
ses agresseurs l’avait littéralement vidée de ses forces. Elle se laissa tomber
mollement sur la banquette arrière et se recroquevilla inconsciemment.
-
Merci… »
Murmura-t-elle alors que ses deux sauveuses reprenaient place à l’avant du
véhicule.
Elle capta le regard inquiet de Noora à travers le rétroviseur intérieur et se souvint
alors qu’elle lui avait posé une question.
-
Sarah
Morgan, » répondit-elle finalement.
Elle secoua légèrement la tête pour retrouver
ses esprits et croisa les bras contre sa poitrine. La pauvre jeune fille était
dans un bien triste état : sa robe de soirée était partiellement déchirée
et couverte de terre et ses cheveux étaient tout emmêlés. Il était bien
difficile de croire que seulement quelques heures auparavant, elle était perçue
comme la reine du bal…
L’américaine jeta un coup d’œil par la fenêtre
alors que Noora démarrait la voiture et elle fut
soulagée de constater que l’endroit semblait désert. Apparemment ses agresseurs
ne l’avaient pas suivie jusqu’ici.
-
Faites
vite, s’il vous plait… » Murmura-t-elle néanmoins avec urgence.
Elles s’éloignèrent rapidement mais l’état de
Sarah ne semblait pas s’améliorer. La jeune femme tremblait légèrement et il ne
faisait aucun doute qu’elle ne se sentait toujours pas en sécurité.
-
Il
faut que je prévienne
A nouveau, elle regarda à travers la vitre,
mais les abords de l’hôtel étaient parfaitement tranquilles.
- J’espère que tout le monde va bien… »
Une larme coula lentement sur sa joue dorée
alors qu’elle se rappelait comment Constantin avait été drogué et cet agent
blessé à maintes reprises. Il avait risqué sa vie pour qu’elle puisse fuir mais
à quel prix ? Leurs assaillants étaient si rapides…
-
Ils
étaient tellement forts… Et pourtant ils n’avaient pas d’armes… »
Sarah semblait complètement absorbée par ses
souvenirs mais ses propos décousus étaient pourtant parfaitement
compréhensibles pour ses deux sauveuses. Pour Noora
et Anchali, il n’existait aucun doute sur l’identité
des agresseurs…
Le palace se profila devant elle et Noora se gara à la place qui lui était réservée. Sarah
sembla alors sortir de sa transe.
-
On
est arrivées ? C’est… c’est l’hôtel ? Mais il faut que je prévienne
la police, que je sache si tout le monde va bien. Je me suis cachée pendant
longtemps, ça doit être fini maintenant… Ils ont du intervenir… »
Bredouilla-t-elle alors qu’elle sortait du véhicule, à la suite des deux jeunes
femmes.
Le parking était bien éclairé et elle put pour
la première fois distinguer nettement les visages des jeunes femmes. Le choc
fut évident. Avec un mouvement de recul, Sarah dévisagea les deux amies l’une
après l’autre. Elle les connaissait, tout comme elle était certaine d’avoir
déjà rencontré Constantin et cette petite serveuse. Il y avait l’agent de
sécurité aussi… Elle n’y avait pas prêté attention sur le moment et pour cause,
mais la sensation de déjà-vu qu’elle ne cessait de ressentir depuis le début de
la soirée s’appliquait aussi à cet homme.
Calme-toi, pensa-t-elle alors qu’elle reculait
encore d’un pas. Tu connaissais Constantin
quand tu étais petite, c’est pour ça que tu as eu cette impression. Et pour le
responsable de la sécurité, tu avais du l’apercevoir du coin de l’œil ces
derniers jours, sans prêter attention à lui…
Oui mais la serveuse ? Et ces deux
femmes, tombées à point nommé pour la sortir de cette affreuse situation… Ce
n’était pas une coïncidence, non certainement pas…
-
Qu’est-ce
qu’il se passe ? » Demanda-t-elle et alors que les deux amies
restaient interdites face à sa question pour le moins énigmatique, elle cria
« Dites-moi ce qu’il se passe ! Pourquoi est-ce que j’ai l’impression
de connaitre toutes ces personnes que je croise alors que je ne les aie jamais
vues ? Et pourquoi je ressens cette impression bizarre quand je vous
regarde ? »
Son regard était affolé et elle semblait sur
le point de prendre la fuite.
-
Vous
êtes avec eux ? Avec ces personnes qui m’ont attaquée ? »
Questionna-t-elle finalement d’une petite voix.
Anchali Siripan,
Noora Andries
Un court instant, Anchali
fut désarçonnée par la réaction de la jeune femme. Elle avait ; douté
pouvoir longtemps lui dissimuler la vérité, d'autant plus qu'il était hors de
question de prévenir la police comme Sarah l'avait souhaité dans la voiture.
Apparemment, la sensibilité de la demoiselle
était bien plus importante que ce qu'elle n'avait préalablement supposé et la
perméabilité de son esprit aux souvenirs de ses précédentes incarnations se
révélait dans toute son immensité.
Autant dire que vouloir lui cacher plus
longtemps quoique se soit concourrait ni plus ni moins à faire définitivement
fuir la réincarnation, situation absolument inconcevable et que la métisse
entendait ne jamais provoquer. Elle lança un regard fortement appuyé à Noora, laquelle semblait quelque peu submergée par la
tournure des évènements. La blonde haussa vaguement les épaules, équivalent
physique du traditionnel "fais comme tu le sens", laissant
visiblement le soin d'expliquer les tenants et les aboutissants de cette
étrange histoire à Sarah.
Anchali soupira faiblement et
ferma les yeux, ses mains jointes en prière posées contre son nez. Elle inspira
longuement avant de relever la tête vers celle qui était, à n'en plus douter,
la réincarnation d'Athéna. Comment allait-elle lui dire qu'elle était
l'incarnation de
Comment lui expliquer qu'elle ne devenait pas
folle et qu'effectivement elles se connaissaient toutes trois, depuis des temps
immémoriaux ? Et surtout, comment lui dire, lui avouer qu'elle était leur
Déesse bien aimée, celle à qui ils avaient tous dédiés leur, afin de l'assister
dans son combat pour la protection de la Terre et de ses habitants ?
L'ampleur de la tâche lui donna le vertige.
Jamais, jusqu'à présent, elle n'avait été
confronté à un obstacle pareil, d'autant plus que la jeune femme devant frôler,
à vue de nez, le quart de siècle. Qui savait comment elle allait réagir ? Lors
de ses vies précédentes, la Déesse avait toujours été confronté de bonne heure
à son identité réelle, et avait grandi avec cette notion, et Anchali espérait de tout cœur qu'elle n'était pas trop
profondément endormie au sein de l'âme de Sarah...
La nervosité de cette dernière semblait monter
d'un cran et la brunette se retrouva au pied du mur. Réprimant une grimace de
mal être, elle finit par prendre la parole, espérant calmer quelque peu son
interlocutrice, le temps de la mettre à l'abri.
-
Non
Sarah, nous ne sommes aucunement avec eux. Nous sommes avec vous, de votre côté,
et nous le serons toujours.
Près d'elle, Noora
n'esquivait toujours pas un geste. Anchali savait son
amie capable de parer à toute éventualité si la jeune femme essayait de fuir,
mais toutes les deux savaient pertinemment que cette solution serait lourde de
conséquences, à commencer par une perte totale de confiance entre elles et la
Déesse.
-
C'est
assez compliqué à expliquer comme ça en cinq minutes, et surtout ça va vous
paraître complètement fou, mais nous nous connaissons effectivement...
Elle soupira et pris son courage à deux mains
avant de lui asséner une vérité que beaucoup auraient estimé dérangeante.
-
Vous
avez déjà du entendre parler de ces histoires invraisemblables de vies
antérieures et de réincarnations ? Et bien elles ne sont pas aussi
abracadabrantes qu'elles ne le paraissent de prime abord...
Les mots lui manquaient. Ce n'était pas ainsi
que cela aurait du se passer, pas sur un parking d'hôtel, pas aussi rapidement.
-
Nous
nous sommes connues dans une vie précédente. Une vie dont vous avez, quelque
part en vous, des souvenirs enfouis...
Sarah Morgan
Sarah crut d’abord que les deux femmes avaient
perdu l’esprit. Elles s’étaient connues dans une vie précédente ? Où
avaient-elles bien pu aller chercher ça ? Ca avait peut-être le mérite
d’être original mais question crédibilité c’était simplement risible… Pourtant
la situation n’avait rien de comique, bien au contraire…
Elle avait failli être tuée, cet agent avait
été blessé et était peut-être même mort à cet instant, et voilà qu’on lui
parlait de vie intérieure !
Le rouge lui monta aux joues. Elle n’avait
plus peur des deux femmes à présent, elle était simplement en colère. Contre
elles, contre le destin qui s’acharnait sur des personnes innocentes et qui
maintenant se permettait en plus de lui adresser un pied de nez.
-
Non
mais vous me prenez pour une imbécile ? » Dit-elle d’un ton plein de
colère.
Elle recula encore, prête à quitter les lieux
une fois pour toutes, même si elle connaissait effectivement ces femmes et même
si elle savait qu’elles étaient liées à toute cette histoire. Si elle ne
pouvait pas avoir la vérité, cela ne servait à rien de rester avec elles. Non,
c’était même dangereux…
Et puis même si elles étaient effectivement de
son côté, à quoi bon lui mentir ? Non, tout était trop bancal… On se
jouait d’elle, alors elle devait partir.
La jeune femme leur tourna le dos et se
dirigea d’un pas déterminé vers la sortie du parking. Une légère brise vint
soulever quelques mèches blondes de sa lourde chevelure. L’air était chaud et
doux, un vent du sud… Elle se vit soudain sur les hauteurs d’une falaise,
contemplant un paysage aride couvert de temples anciens. A ses côtés se
trouvaient des enfants, ou plutôt des adolescents. Leur tenue était étrange,
hors du temps… Elle eut l’impression de voir des acteurs de péplum, mais ce
n’était pas un film.
La vision cessa et elle se rendit compte
qu’elle s’était arrêtée entre deux véhicules. Que venait-il de se passer ?
Et pourquoi avait-elle l’intime conviction que les deux femmes étaient parmi
ces enfants ? Etait-ce vrai ? Se pouvait-il que cette histoire saugrenue
soit bel et bien réelle ?
Ca l’était. Elle en était convaincue. Aussi
aberrant que cela était, Sarah sentait au plus profond d’elle-même qu’on venait
de lui dire la vérité…
-
Mais
alors…
Elle les regarda avec incompréhension. Les
deux amies ne dégageaient que la crainte et de
-
Pourquoi
est-ce qu’on nous veut du mal ? Et comment est-ce que je peux me
souvenir ?
Sarah avait fait son choix et en cet instant
elle sut qu’elle venait de sceller son destin…
Anchali Siripan,
Noora Andries
Un soupir de
soulagement commun s'éleva des deux jeunes femmes, témoin du relâchement de
pression qu'elles venaient de subir. Sarah semblait accepter sa situation,
aussi nouvelle et incongrue était-elle.
Cependant, un doute
persistait dans leur esprit. Se pouvait-il qu'à un moment ou à un autre, elle
fasse marche arrière, avant de retrouver ses souvenirs, cherchant par là même à
fuir la montagne de responsabilités que ce choix soudain lui avait attribué ?
C'était hélas un
risque qu'elles devaient prendre, charge à elles d'encadrer et de soutenir la
Déesse jusqu'à ce qu'elle puisse fièrement triompher des obstacles qui jalonneraient
sa route. C'était, somme toute, le résumé de leur mission, bien qu'à cet
instant, elles tenaient davantage de psychologues que de guerrières.
Et s'il y avait bien
un domaine dans lequel Anchali n'excellait guère,
c'était bien celui de la psychologie, s'amusa intérieurement Noora. D'ailleurs la figure quelque peu figée que son amie
présentait laissait pleinement entendre sa confusion. La blonde prit le relais.
-
C'est
une histoire un peu compliquée, Sarah. Pour faire simple, certaines... entités
malveillantes cherchent à vous nuire car vous symbolisez la protection de cette
terre.
Voyant que la jeune
femme était tout aussi perdue qu'Anchali, la gérante
s'acharna à éclaircir son discours en un temps record.
-
Bon...
Visiblement, je vais devoir être directe pour que vous compreniez le problème.
Le nom d'Athéna vous dit quelque chose ? Et celui d'Hadès ?
Anchali l'interrompit tout à
coup avant qu'elle ne puisse continuer ou bien que la réincarnation ne puisse
répondre.
-
Je
préfèrerais que nous parlions de ça à l'intérieur, si vous n'y voyez pas
d'inconvénient. J'aimerais ne satisfaire la curiosité d'éventuelles oreilles
indiscrètes. Et puis nous sommes aisément repérables… » Fit-elle doucement
en tendant une main vers Sarah, l'invitant à les accompagner à l'intérieur de
l'hôtel ; ses yeux dorés ne quittant pas son visage une seule seconde.
Et en effet, le
parking en plein air autorisait n'importe quel regard à s'accrocher à elles, et
ce n'était guère les voitures présentement stationnées qui leur seraient d'un
quelconque recours en cas d'agression...
Sarah Morgan
La demoiselle
acquiesça silencieusement et suivit les deux jeunes femmes à l’intérieur du
bâtiment. Alors qu’elles s’engouffraient dans le portique tournant qui
permettait d’accéder au hall principal, Sarah fut impressionnée par la beauté
de l’endroit. Ce n’était pas un hôtel mais un véritable palace ! Bien
qu’habituée au luxe, la jeune femme devait tout de même admettre qu’elle avait
rarement séjourné dans un endroit aussi agréable. D’ailleurs à bien y réfléchir
même l’hôtel parisien où son père l’avait emmenée il y a quelques années
n’était peut-être pas aussi beau…
Les nombreux éclairages
du hall majestueux l’empêchaient néanmoins de camoufler, ne serait-ce qu’un chouilla, l’état catastrophique de sa tenue vestimentaire
et elle se sentit soudainement particulièrement honteuse de son apparence.
Certes, cela n’était en rien de sa faute, mais Sarah était d’une nature
coquette et matérialiste, aussi cet incident la mettait particulièrement mal à
l’aise. Recouvrant sa poitrine de ses bras sales, elle regarda autour d’elle et
fut soulagée de constater que le réceptionniste mis à part, l’endroit était
heureusement désert.
Une chance qu’elles
soient arrivées au milieu de la nuit, car Sarah n’aurait sans doute pas
supporté l’humiliation d’une telle arrivée s’il y avait eut foule…
Noora s’approcha du
réceptionniste et s’entretint rapidement avec lui. Sarah comprit alors que la
jeune femme avait ses habitudes ici et était particulièrement tenue en estime
par le service de l’hôtel. En général les employés de ce genre d’endroit
s’adressaient aux clients avec respect, mais là c’était presque de la
révérence… Cette Noora devait être très riche ou bien
avoir une situation particulièrement influente.
Elle revint finalement
vers elles et toutes trois empruntèrent l’un des ascenseurs. Sarah hasarda un
coup d’œil dans le miroir de l’appareil et retint avec peine un petit cri.
-
Ma
robe…
Dire que le vêtement
lui avait coûté une petite fortune ! C’était un styliste grec qui l’avait
confectionnée sur mesure. D’ordinaire, la jeune femme trouvait son bonheur dans
les magasins huppés mais cette fois-ci elle avait décidé de mettre les bouchées
doubles pour impressionner les invités. Le résultat avait été à la hauteur des
ses espérances mais maintenant elle ne ressemblait plus qu’à une vulgaire
souillon…
Les circonstances de
son état se rappelèrent alors à elle et elle se sentit soudain honteuse de
s’être apitoyée sur son apparence alors que d’autres avaient été grièvement
blessés. Quelle égoïste faisait-elle ! Et puis elle ferait mieux de
réfléchir à la situation actuelle plutôt que de pleurer un vulgaire bout de
tissu.
Une petite sonnerie
retentit, les avisant qu’elles étaient arrivées à l’étage désiré. Noora les conduisit le long d’un couloir aussi luxueux que
le reste de l’établissement et elles entrèrent dans une magnifique suite. Le
salon à lui seul mesurait bien 45m2 et était décoré de façon moderne. Malgré la
fatigue, Sarah ne put s’empêcher d’apprécier à pleine hauteur le bon goût du
décorateur.
La jeune femme se
laissa tomber sur un canapé de cuir noir et posa sa tête entre ses mains. Elle
était épuisée. Ses jambes tremblaient légèrement maintenant que les muscles se
relâchaient et elle sentait que son corps avait atteint ses limites…
Quelle heure
était-t-il ? Combien de temps s’était-il écoulé depuis l’attaque à la
résidence ?
Elle releva doucement
la tête et considéra ses deux sauveuses qui s’installaient à leur tour. Ses
yeux étaient rougis par la fatigue et elle distinguait mal leurs visages.
Pourtant elles devaient parler. Ces histoires de vie antérieure n’étaient
absolument pas claires, tout comme ce rêve éveillé qu’elle avait eu sur le
parking. Et puis il y avait aussi ces allusions qu’avait faites la femme blonde.
Elle avait mentionné les noms d’Athéna et Hadès et lui avait demandé s’ils lui
étaient familiers.
A vrai dire Sarah ne
s’était jamais vraiment intéressée à la mythologie aussi ne connaissait-elle
que vaguement les dieux auxquels la jeune femme avait fait référence. Pourtant
elle avait tiqué lorsqu’elle avait prononcé ces noms. Une sorte de déclic,
comme un souvenir lointain qui tentait de remonter à la surface… Pendant un
instant elle cru mettre le doigt sur l’énigme que représentait ces noms mais
aussitôt la sensation disparu pour laisser place au néant. Elle était bien trop
épuisée pour tenter de chasser une mémoire disparue…
Et puis elle
s’inquiétait pour sa famille et pour les invités de la réception…
-
Est-ce
que…
Elle se frotta
légèrement les yeux pour tenter de se réveiller et reprit.
-
Vous
dites qu’on ne peut pas prévenir la police mais est-ce que vous pourriez
essayer de savoir si mes proches vont bien ? La réception avait lieu à la
résidence de madame Dimitriou… C’est ma grand-mère. Notre
agent de sécurité a été blessé… Lui aussi j’avais l’impression de le connaitre.
Comment leur expliquer
le plus simplement possible ce qu’il s’était passé ? Sarah se sentait trop
faible pour faire le moindre effort.
-
Il
y avait aussi une petite serveuse et Constantin. C’était un garçon que j’ai
connu enfant et il a été drogué. En fait le verre était pour moi mais c’est lui
qui l’a bu et après il s’est écroulé et c’est là qu’ils nous ont attaqué…
Anchali Siripan,
Noora Andries
Anchali fronça les
sourcils à l'énoncé des mésaventures de la jeune femme. Il paraissait
évident que l'orchestration de son enlèvement avait été préparée de longue date
par des ennemis dont l'identité ne faisait aucun doute. Le détail concernant
l'agent de sécurité tiltât dans son esprit, l'amenant
à la conclusion amère que les troupes d'Hadès venaient de faire leur premier
prisonnier.
-
Ne
vous inquiétez pas, nous allons nous renseigner, d'accord ? » Dit-elle simplement
avant de se diriger vers ses bagages.
Elle entreprit d'en
sortir une chemise de nuit et la donna à Sarah.
-
Tenez.
Allez prendre une douche et mettez ça. Il est plus que temps pour vous de vous
reposer...
Voyant qu'elle allait
protester, elle continua.
-
Allons,
vous tenez à peine debout. Il ne servirait à rien que vous obstiniez à rester
éveillé. Votre corps et votre esprit ont besoin de repos, en plus, cela vous
permettra d'avoir les idées claires demain matin.
Finalement la jeune
femme se rangea à l'avis d'Anchali et fila vers la
salle de bains. Cette dernière pu nettement percevoir le bruit de l'eau qui
coulait pendant quelques minutes, avant que la réincarnation ne revienne, les
cheveux encore humides, revêtue du vêtement confié.
Elle salua rapidement
les deux amies et, après s'être assurée qu'elles ne
quitteraient pas la suite, se dirigea vers une chambre, légèrement chancelante.
Un silence pesant
s'installa dans le salon, avant que Noora ne se rende
près du mini bar et ne serve deux verres de Ti punch. Elle en tendit un à Anchali et but une gorgée.
-
La
Déesse... » Murmura-t-elle.
-
Oui,
la Déesse. » Répondit Anchali en s'asseyant, goûtant
à son tour le rhum ambré.
-
Qui
l'aurait cru ? Certainement pas moi, surtout pas après ce soir... »
Poursuivit-elle en faisant tourner son verre entre ses mains.
Elle leva les yeux
vers Noora. La mine interrogatrice de cette
dernière lui indiquant qu'elle ne saisissait guère le sens de cette dernière
affirmation. Anchali se mordit les lèvres, se
rappelant la promesse qu'elle lui avait faite plutôt dans la soirée.
-
C'est
vrai que je t'avais dit que je te raconterais... » Soupira-t-elle
-
Devant
un bon verre. » Acheva Noora en s'installant à
son tour sur un confortable canapé. « Je t'écoute donc. »
La métisse eu un léger
sourire et se renversa en arrière, croisant ses jambes. L'état de ses vêtements
se rappela à elle alors qu'un bout de sa robe s'effilochait dans le mouvement.
-
Et
bien figure toi que pour te joindre, j'ai du me rendre dans le bar le plus
miteux qu'il m'ait jamais été donné de voir.
La blonde but une
longue rasade d'alcool.
-
Je
doute que se soit le soulard du coin qui t'ai mis dans cet état, si ? »
Asséna-t-elle avec un minuscule rictus.
Anchali eu un geste las.
-
Loin
s'en faut, tu peux me croire. En fait, après t'avoir appelé, je suis tombée sur
un spectre. Pour te faire court, je l'ai suivit dans la ruelle derrière le
troquet et je m'apprêtais à lui poser quelques petites questions quand un
invité surprise à débarqué...
Son visage s'assombrit
tout à coup de manière visible. Ses lèvres se serrèrent et ses doigts
agrippèrent le verre avec une rage contenue.
-
C'était
Thanatos en personne. Oh, pas le même corps qu'habituellement bien sûr, mais
c'était lui, les mêmes yeux, le même petit sourire narquois et toujours cette même
foutue arrogance divine. »
Elle jeta un œil sur
sa tenue déplorable avec une moue dégoutée.
-
Je
te passe les détails, mais ça a faillit très mal tourner pour moi. Et j'ai bien
peur que cet incident ne soit qu'une mise en bouche comparé à ce qui nous
attend.
Noora resta silencieuse
pendant quelques secondes, son regard azur s'était fait grave au fur et à mesure
du récit de l'asiatique. Sous les accents haineux de son amie, elle avait
décelé les arêtes de la peur, et cette constatation commençait à
l'effrayer quelque peu.
D'autant plus qu'aussi
loin qu'elle se souvenait, la jeune femme n'avait jamais refusé un
combat contre la Déité...
-
Tu
as du fuir, n'est ce pas. » Constata Noora
d'une voix blanche.
-
Bien
sûr que j'ai du fuir ! » Manqua de s'étrangler Anchali.
« Je n'ai pas eu d'autre choix ! Si j'étais restée là-bas il m'aurait
transformé en petit tas de cendre fumant ! »
Elle pencha la tête,
posa son front entre ses paumes, articulant ses mots d'une voix étouffée.
-
Nous
ne vaincrons pas dans notre état, Noora. C'est
impossible...
La susnommée se
redressa, rigide à l'extrême, en entendant les paroles défaitistes. Elles ne
correspondaient pas à l'Anchali qu'elle connaissait.
Ou plutôt à l'Aëldira qu'elle connaissait,
rectifia-t-elle aussitôt. Était-ce donc là l'héritage de leur nouvelle vie ? La
question lui déplaisait, surtout s'il fallait y répondre par la positive, car
si cela se vérifiait, ils ne risquaient pas de vaincre qui que se soit...
Ses yeux se posèrent
sur la porte de la chambre dans laquelle Sarah était partie se reposer. Ils
devaient trouver une solution dans les plus brefs délais. La perspective de ne
pas réussir à servir, ou tout simplement protéger leur Déesse lui donnait
Elle reporta son
regard sur Anchali, qui s'était redressée et semblait
se ressaisir après ce court instant de faiblesse.
-
Ce
n'est pas dans tes habitudes de te laisser submerger ainsi, Aëldira. »
Remarqua-t-elle anodinement. Elle leva une main pour
interdire à celle-ci de répliquer.
-
C'est
sans doute le résultat d'une immense fatigue, voire même d'un profond
épuisement. Après tout, avec le contre coup du décalage horaire, la rencontre
aussi inopinée que désagréable avec Thanatos, et finalement la survenance de la
Déesse, je pense que n'importe quel chevalier se serait effondré de fatigue
depuis longtemps.
La gérante de l'hôtel
Astoria se leva.
-
Aussi,
il est temps d'aller nous coucher. Tout comme tu l'as si bien fait remarquer à
Sarah, nous aurons les idées plus claires demain. » Énonça-t-elle d'un ton
qui ne souffrait aucune contradiction en s'avançant vers la porte de la seconde
chambre.
-
Ca
ne te dérange pas que nous partagions le même lit, j'espère ? » Demanda Noora en ouvrant la pièce. « Je n'ai pas d'autre
matelas à te proposer. »
L'asiatique eu un
large sourire, ses yeux étincelant d'amusement pour la première depuis
longtemps.
-
Ca
ira très bien. Et merci.
Oh elle avait
parfaitement saisi le petit manège de Noora, et
savait pertinemment que son petit laïus sur cette prétendue fatigue n'était
qu'un rempart destinée à préserver la fierté de l'asiatique. Non, elle n'était
pas dupe. La supercherie offerte qui restaurait son égo blessé n'aurait qu'un
temps ; tout comme la façade qu'elle se composait pour ne pas voir l'évidence.
Une partie de ce
qu'elle était lui avait été refusée lors de sa
réincarnation, et cette lacune se révélait dans toute sa douloureuse ampleur en
ce jour. Elle ignorait si elle serait en mesure de récupérer tout ou partie de
son être, tout comme elle ignorait si les autres souffraient de la même tare,
et cette inconnue menaçait de la rendre folle.
La tête pleine de
pensées sombres, elle suivit la gérante, et après avoir troquée sa robe en
haillons contre un short de pyjama et un débardeur, elle s'enfonça sous